Grand Témoin
Abdennour Bidar
Vous êtes « Chargé de mission sur la pédagogie de la laï-
cité » au ministère de l’Education nationale En quoi consiste
cette mission ?
Il s’agit d’abord de formation des personnels de l’Education
nationale sur cette question de la laïcité qui est, comme le
dit le code de l’éducation, « la mission première de l’Ecole
de faire partager aux élèves les valeurs de la République ».
Or seule une laïcité bien comprise peut être une laïcité bien
transmise. Il faut donc s’assurer que tous les personnels dispo-
sent d’une culture commune de la laïcité de la République
et de l’Ecole, de son sens et de ses enjeux, pour qu’ensuite ils
se sentent et soient capables d’expliquer clairement ce prin-
cipe aux élèves. Par exemple, la laïcité de l’Ecole fait obliga-
tion aux professeurs de ne pas exprimer leurs convictions per-
sonnelles – politiques, religieuses ou autres – dans l’exercice
de leurs fonctions. Il est capital que tous aient conscience de
cette éthique professionnelle, qu’ils la respectent et qu’ils
soient capables d’en montrer aux élèves le bénéfice ; en
l’occurrence le fait que grâce à cette déontologie, l’élève a
l’assurance qu’il a en face de lui des adultes qui se sont
engagés à ne pas l’influencer par leurs propres opinions, et
donc que sa liberté de conscience est mise en sécurité, et
que le principe de laïcité contribue à rendre possible le vivre
ensemble entre croyants – de toutes confessions – et non
croyants.
Quel bilan avez-vous tiré de vos visites dans des établisse-
ments scolaires et des ESPE, où l’on forme les futurs ensei-
gnants ?
Il y a d'abord une difficulté de compréhension du principe
même de laïcité. De ce point de vue, la culture commune
– culture républicaine et culture du métier d'enseignant, de
sa déontologie – est visiblement à reconstruire. Il y a aussi le
fait que la laïcité pose des limites à l'expression des apparte-
nances religieuses. Or aujourd'hui, dans une société indivi-
dualiste où liberté est souvent confondue avec le droit pur et
simple d'être « soi-même » et de s'avancer « tel quel » dans
l'espace public, toute limite est vécue comme vexatoire,
liberticide. Il faut donc rappeler qu'en démocratie, la limite
de la règle ou de la loi ne va pas contre la liberté mais per-
met la conciliation des libertés.
Comment expliquez-vous les incidents survenus à la suite des
attentats dans des établissements scolaires ?
« Je suis Charlie » et « Je ne suis pas Charlie » sont deux
conceptions du sacré qui s'opposent : les uns disent « la
liberté d'expression est le bien le plus sacré » et les autres
disent « la personne du prophète Mohammed est le bien le
plus sacré ». Il faut tenir compte de cette opposition et orga-
niser à l'Ecole des débats dans lesquels les élèves apprennent
à comprendre et à confronter ces points de vue sur leurs
convictions les plus profondes.
On ne peut plus se passer de tels débats. Pour beaucoup de
jeunes enseignants, la religion c'est l'inconnue pure et simple
et quand ils se retrouvent face à des jeunes d'origine musul-
mane par exemple, qui eux ont une foi faite de convictions
absolues, c'est le choc des différences ! De là, la réticence
de nombreux enseignants à traiter ce qui de près ou de loin
concerne le fait religieux. Il faut donc les former pour leur
donner la sécurité intellectuelle et professionnelle nécessaire.
Si nous ne savons pas ouvrir des espaces de discussion sur les
valeurs, les convictions – à l'Ecole et en dehors –, en appre-
nant à discuter de façon respectueuse, tolérante, argumen-
tée, en apprenant à se mettre à la place de l'autre dans la
mesure du possible (culture de l'empathie), en travaillant à la
reconnaissance mutuelle, alors on laissera la place au
silence, et donc fatalement, à un moment ou à un autre, à la
violence.
Abdennour Bidar
est chargé de
mission laïcité au
niveau national,
et membre de
l ’ Ob s e r v a t o i r e
national de la laï-
cité.
DOSSIER
LAÏCITÉ ET
« VIVRE ENSEMBLE » À L’ÉCOLE
www.peep.asso.fr- numéro 385 - Mars-avril 2015
25
« la limite de la règle ou de la loi ne va pas
contre la liberté mais permet la concilia-
tion des libertés »