Grand Témoin
Jean-Marie LE BOITEUX
Dans quel contexte le décret assouplissant les règles de sécu-
rité des jeunes de l’enseignement professionnel et agricole a-t-
il été décidé ?
Il a été proposé par le ministère du Travail qui était confronté à
un certain nombre de professions, plus accidentogènes que
d’autres, agacées par les différents blocages à l’embauche.
L’exemple souvent pris était qu’il fallait une dérogation pour
pouvoir faire monter un jeune sur une échelle. Le but est donc
d’assouplir les contrôles. Le problème est qu’à l’autre bout de
la chaîne, c’est la sécurité du jeune qui est en jeu. Désormais,
l’entreprise ne doit faire que du déclaratif. Certes, l’inspection
du travail peut toujours vérifier, mais comme elle est en sous-
effectif, il y a un risque de laisser-aller.
Doit-on s’inquiéter de cette liberté donnée aux entreprises ?
Il faut faire une différence entre grandes et petites entreprises.
Les premières ont les moyens de faire faire des formations aux
jeunes, ont du matériel aux normes et sont souvent contrôlées.
Mais dans le milieu agricole, les agriculteurs sont souvent seuls
et n’ont ni les moyens ni le temps de faire faire des formations
aux jeunes et ont souvent des machines un peu vieillottes. Et
comme l’inspection du travail ne va plus aller vérifier, on ne sait
pas quels risques on fait courir au jeune.
Que proposez-vous ?
Il faut faire plus de pédagogie et expliquer que ces tracasseries
administratives sont dans l’intérêt de tout le monde, même de
l’entreprise qui va ainsi éviter de prendre le risque qu’un jeune se
blesse. Les inspecteurs du travail pourraient également venir
dans les entreprises davantage en tant que conseils, et plus seu-
lement dans le but de sanctionner. Mais évidemment il faudrait
leur donner plus de moyens. La vraie question est politique : faut-
il sacrifier la sécurité des jeunes par manque de moyens ?
Plus globalement, quelle est la situation actuelle de l’apprentis-
sage et de l’enseignement agricole ?
Un des problèmes est qu’on envoie en apprentissage des jeu-
nes qui ne le souhaitent pas, simplement car on ne leur offre
pas d’autres choix. L’apprentissage est très bien mais pour les
jeunes qui le veulent. Mais un jeune qui souhaite – et qui en a
la possibilité – suivre un enseignement général devrait toujours
le pouvoir. Concernant l’enseignement agricole, trois dimen-
sions sont en tension actuellement. D’un point de vue pédago-
gique, il y a une trop forte baisse des enseignements disciplinai-
res au profit de la liberté de choix des établissements. Ensuite,
comme on ne peut pas accueillir tout le monde faute de
moyens, on refuse certains jeunes qui souhaiteraient venir dans
l’enseignement agricole. Enfin, la question du personnel se
pose, de sa formation et de ses obligations de service.
Quels sont les atouts de l’enseignement agricole ?
Tout d’abord, c’est la proximité du vivant, de la nature, des ani-
maux car dans chaque établissement il y a des exploitations et
des ateliers. De plus, ce sont des établissements à taille
humaine : un gros lycée agricole, c’est 500 élèves, contre 1000
élèves pour un gros lycée de l’Education nationale. Ça crée du
lien, de même que les internats qui n’ont plus rien à voir avec
ceux des années 1950 et qui sont désormais de vrais lieux de vie.
Egalement, l’enseignement agricole, ce n’est pas seulement
agrico-agricole : il y a aussi des cursus d’aménagement du terri-
toire, de travail en forêt, d’aide à la personne en milieu rural…
L’autre gros atout est la cohabitation d’enseignements général,
technologique et professionnel.
« faut-il sacrifier la sécurité
des jeunes par manque de
moyens ? »
EDUCATION
ZOOM
www.peep.asso.fr- numéro 387 - Août-septembre-octobre 2015
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Jean-Marie LE BOITEUX
est secrétaire général
du Syndicat National
de
l’Enseignement
Technique Agricole
Public (SNETAP-FSU).
Biographie
Ancien ouvrier agricole, Jean-Marie Le
Boiteux est devenu professeur en 1987. Il
enseigne aujourd’hui la biologie et l’écologie
dans le cadre de formations pour adultes en
établissement agricole. Il est secrétaire
général du SNETAP-FSU depuis 2009.