EDUCATION

Passerelles de réorientation : quelle efficacité ?

Evidente ou sujette à questionnement, l’orientation s’avère dans tous les cas un tournant dans la scolarité. Hier, toute tracée jusqu’au bac de la série choisie, le réaiguillage sur une autre voie est désormais possible grâce aux passerelles. Mais, dispositif efficace pour élèves motivés ou mesure accessoire pour adolescents indécis ?

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Dans le domaine de l’orientation, les cycles ont la part belle. Dits « de détermination » en seconde ou « terminal » en première et terminale, ils imposent le rythme de la prise de décision. Mais c’est bien connu, tous les adolescents ne sont pas réglés sur le même métronome et leur maturité évolue beaucoup entre les classes de 3e et de 1re. De plus, l’orientation est un processus complexe qui doit autoriser divers cheminements. Aussi, depuis la rentrée scolaire 2010-2011, il a été décidé que des stages pourront être organisés dans l’ensemble des lycées, pendant les vacances scolaires et/ou en cours d’année, chaque fois que cela paraîtra nécessaire. Articulés avec l’accompagnement personnalisé, ces stages ont pour objectif de favoriser la réussite scolaire des élèves en proposant une offre éducative complémentaire. L’un de ces stages baptisé « passerelle » vise à permettre un changement d’orientation.
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Stage ou pas stage
L’idée de ces stages « passerelles » est simple : permettre aux lycéens volontaires et motivés de se réorienter sans redoubler ni prendre de retard, en adhérant à une forme de contrat. D’un côté, l’établissement d’accueil leur offre 4 journées de stage pendant les vacances scolaires. Et de l’autre, l’élève s’engage à fournir un travail soutenu, notamment dans les disciplines nouvelles pour lui. Il ne s’agit pas, là, pour l’élève et les professeurs concernés, de rattraper les enseignements non reçus/dispensés l’année précédente, mais de mettre le pied à l’étrier pour aborder en confiance la rentrée dans un univers de formation nouveau. Le contenu, la durée et les modalités d’organisation du stage sont communiqués à la famille ou à l’élève majeur qui fait connaître son accord dont il est fait expressément mention dans la fiche-navette d’orientation. Un stage non impératif, il s’agit d’une proposition faite à l’élève au vu des besoins spécifiques.
Pour preuve, le proviseur Eric Gurgey du lycée professionnel Pontarcher n’a pas fait faire cette année de stages passerelles au sens strict, soit 4-5 jours en juillet et août. « Soit les élèves se réorientaient dans des filières professionnelles proches, soit ils trouvaient trop compliqué de rattraper le retard pris dans une matière qu’ils n’avaient jamais étudiée. »
Ce fut le cas de Nassuhati Massoundi, 21 ans qui suite à deux échecs au bac ES en Outre-mer et en France a décidé de partir en terminale bac pro Secrétariat dans ce lycée, mais le retard pris en comptabilité ne pouvait se compenser sur seulement quelques jours de stage. « J’ai réalisé que ce serait difficile de faire une bonne terminale sans connaître les bases. J’ai alors accepté de repartir en 1re pour ne pas risquer de rater mon bac une nouvelle fois. » Un effort payant car pour son proviseur Eric Gurgey, « elle s’est révélée être une excellente élève qui va pouvoir reprendre son projet professionnel là où elle l’avait abandonné ».
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Un dispositif souple et ouvert
Si la cible de ce dispositif reste en priorité les élèves en classe de première générale ou technologique souhaitant changer de série, ou souhaitant passer dans la voie professionnelle ou inversement, ces stages peuvent également s’adresser aux élèves de seconde souhaitant s’orienter de la voie générale et technologique vers la voie professionnelle ou inversement. Et, de façon exceptionnelle, peuvent être concernés les élèves des classes terminales de l’enseignement général et technologique comme Nassuhati. Dans ce cas, les stages devront avoir lieu dès les vacances de Toussaint pour un changement d’orientation le plus tôt possible dans l’année.
Le lycée professionnel Pontarcher à Vesoul fait figure d’exemple dans la mise en œuvre de cette offre de formation, une des nouveautés de la réforme du lycée. Dans la plupart des cas, l’usage de la passerelle se fait depuis les filières du général et du technologique vers la voie professionnelle. Avec un recul de 3 ans sur le dispositif « passerelle » et 8-10 élèves concernés par an, Eric Gurgey, le proviseur, peut constater que cela a plutôt bien fonctionné dans 80 % des cas. « Comme pour toutes les orientations, quand on a face à soi un jeune motivé qui a envie de réussir c’est une très belle opportunité de pouvoir changer de filière. »
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L’ouverture des vannes de la réorientation
Une opportunité qui ouvre désormais le champ des possibles et de la réflexion. « Avant cette mesure, les élèves de 1re n’avaient pas d’autres solutions que de continuer dans leur filière et ne se posaient même pas la question. Elle s’est posée à partir du moment où l’on a ouvert les vannes. Finalement cette nouvelle réglementation a créé le besoin. »
Autant les élèves de 1re ont aujourd’hui un choix qu’ils n’avaient pas, autant les élèves de seconde ont désormais une solution qu’ils n’avaient pas non plus. En effet, « le réel changement est à noter pour les élèves de seconde générale qui étaient obligés de demander leur redoublement en seconde professionnelle pour changer de filière soit 5 à 7 % des effectifs de seconde au lycée Pontarcher. Désormais, les élèves dont la seconde a été correcte peuvent accéder directement à une 1re professionnelle et ne perdent plus une année. ».
Si ce dispositif des stages passerelles est, à en croire le proviseur Eric Gurgey, « une mesure qui en valait la peine » en permettant à des élèves motivés d’envisager un nouvel avenir professionnel, il n’y a pas que les adolescents qui ont besoin de mûrir leur réflexion d’orientation. Certains parents également. C’est le cas d’une élève de seconde Gestion administration qui va partir en mécanique automobile, sa maman ayant enfin donné son feu vert. « Cette jeune fille avait ce projet depuis 2 ans mais sa maman ne voulait pas d’une fille en mécanique. Pendant ces années, la jeune fille a eu à cœur de convaincre sa famille de son projet. » Et grâce à la passerelle elle a la possibilité de réaliser son rêve… professionnel.
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INTERVIEW

Virginie Coupriaux, enseignante en 1re et terminale (commerce et vente) et coordinatrice tertiaire au lycée professionnel Pontarcher de Vesoul

Comment qualifieriez-vous votre expérience des élèves « passerelles » ?
En moyenne j’en ai un à deux par classe sur un effectif de 15 et dans la majorité des cas, ce dispositif fonctionne car le projet est réfléchi et mûri. En revanche si cette passerelle est  pensée comme le moyen pour l’élève en difficulté d’avoir plus facilement son bac, c’est une erreur ! Le bac pro n’est pas plus simple que le bac général ou technologique. Quand ils arrivent des filières générale ou technologique, ils n’ont pas la connaissance de l’entreprise ni de l’exigence des stages. S’il n’y a pas à la base l’envie d’intégrer une entreprise très tôt, cela s’avère très difficile pour eux. Sur 3 ans de lycée, il y a 6 mois de stage ce qui implique d’adhérer au fonctionnement d’une entreprise car elle ne fera pas de cadeau.
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Manque de motivation des élèves ou défaut d’information ?
Il y a le manque d’information des élèves et de leur famille mais aussi la représentation qu’ils se font de la voie pro, qui est parfois totalement erronée. Sur le papier, la passerelle vers la voie pro paraît simple mais dès lors qu’ils ont l’obligation d’aller 35 h en entreprise de manière assidue, les choses se compliquent.
Les passerelles ne font pas de miracles mais il y a heureusement des révélations pour ceux qui adhèrent à la formation. Et, dans ce cas, c’est bénéfique pour la classe de montrer que d’autres parcours sont
possibles et que ces élèves ont su rebondir après avoir connu une situation compliquée en seconde ou en première.
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REPERES

Orientation en fin de seconde

En 2012, à l’issue de la seconde générale et technologique, 86 % des élèves poursuivaient leur scolarité vers une première générale ou technologique, dont un tiers vers la série S et 10 % en première littéraire. Les premières technologiques représentent un peu plus d’un quart des orientations post-seconde.
Quant aux chiffres des réorientations, ils ne sont pas connus : le ministère de l’Education précise que le redoublement (incluant « orientations vers le professionnel »…) a concerné 13,69 % des élèves de seconde en 2012.
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TEMOIGNAGE

Joseph Kali, 18 ans, en 1re Accueil-relations clients et usagers

« Etant donné que je rencontrais des difficultés en seconde professionnelle Gestion administration, je me suis renseigné auprès de mon professeur principal sur les possibilités de réorientation. Sans place disponible
en 1re Commerce, mon premier choix,  j’ai opté pour la 1re Accueil-relations clients et usagers. J’ai alors rédigé une lettre de motivation pour les besoins de mon dossier « Passerelle ». Comme il s’agit d’un champ proche appartenant au même domaine tertiaire que ma filière initiale, je n’ai pas eu à faire de stage de rattrapage durant l’été.
Un an après ce changement, cela se révèle un choix bénéfique puisque, aujourd’hui, j’ai de bons résultats et obtenu les encouragements lors de mon conseil de classe de fin d’année. Cette filière met l’accent sur le relationnel humain ce qui correspond plus à mon profil et me conforte dans mon projet professionnel : un BTS professions immobilières. »

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