EDUCATION

Etre gaucher : atout ou handicap ?

Après avoir été poussés à utiliser coûte que coûte leur main droite, les enfants choisissent désormais sans contrainte la main avec laquelle ils souhaitent écrire. Selon certains, être gaucher pourrait même être un atout…

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I ls représentent selon les sources entre 10 et 13% de la population française. Une proportion loin d’être négligeable. Et pourtant, certains gauchers éprouvent toujours des difficultés à s’insérer dans la société. Ouvrir un robinet, utiliser un tire-bouchon ou un ouvre-boîte, jouer de la guitare… chaque jour leur rappelle qu’ils vivent dans un monde fait par et pour les droitiers. Si la gaucherie apporte des désagréments tout au long de la vie, c’est surtout au début du cursus scolaire que des difficultés sont les plus sensibles. Des apprentissages aussi simples que découper avec des ciseaux ou tailler un crayon peuvent s’avérer compliqués pour des enfants plus habiles de leur main gauche que de leur main droite.
« Les problèmes ont commencé lorsqu’il a fallu écrire beaucoup, parce que j’avais mal à la main. Je ne savais jamais comment la positionner : au-dessus, en dessous de la ligne ? Je ne le sais toujours pas aujourd’hui, d’ailleurs. Je me rappelle d’un professeur de français qui prenait un malin plaisir à arracher les pages de mon cahier parce que ce n’était pas bien écrit », se souvient Marie, 31 ans. « Pour moi, écrire de gauche à droite n’est pas naturel. Il m’arrive même d’écrire dans l’autre sens, en miroir, et à chaque fois, ça me fait un bien fou », admet une autre gauchère.
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Le libre choix
Lire non plus n’est pas une sinécure. Des études ont démontré que les gauchers avaient instinctivement tendance à porter leur œil vers la droite de la page. Lire de gauche à droite leur demande un effort supplémentaire que n’ont pas à fournir les droitiers.
Pendant longtemps, les gauchers ont été contrariés. Dès qu’un enseignant s’apercevait qu’un enfant avait tendance à prendre un stylo de la main gauche, il le forçait à changer de main. Outre des raisons pratiques, le poids de la tradition et des croyances entrait aussi en ligne de compte. Pendant des siècles en effet, la main gauche a eu mauvaise réputation.  Associée à une symbolique négative, elle a longtemps été qualifiée de « main du diable ». Encore aujourd’hui, dans de nombreux pays, manger ou écrire de la main gauche est considéré comme impoli. Cette contrariété a fait dégât. Certains gauchers devenus droitiers en ont subi des conséquences tout au long de leur vie. « Toute mon enfance j’ai été maladroit, sans savoir pourquoi. Je ne l’ai découvert que bien plus tard. Je crois que c’est en maths que j’ai rencontré le plus de difficultés. J’avais du mal à compter et à coordonner ma main en même temps », se souvient Marc, un gaucher contrarié. Parfois même, les conséquences sont insoupçonnées. Certains scientifiques estiment, par exemple, que la gaucherie contrariée pourrait jouer un rôle dans la genèse du bégaiement.
Aujourd’hui, heureusement, les gauchers ne sont plus contrariés. Chaque enfant peut choisir la main avec laquelle il souhaite écrire. Tout n’est pas réglé pour autant. Car si la pression sociale ou culturelle n’est plus aussi forte qu’avant, le poids de la tradition, lui, est encore très présent. Il n’est pas rare que des parents, pensant bien faire, poussent encore leur enfant à écrire de la main droite.
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Des outils encore rares
Parfois, ce sont les enfants qui, d’eux-mêmes, mettent leur gaucherie de côté, soit parce qu’ils se rendent compte qu’utiliser la main droite est plus pratique dans la vie courante ou juste pour imiter les personnes qui les entourent. « Lorsqu’il était en CP, mon fils a rencontré des difficultés pour s’intégrer et pour écrire, explique une maman sur le forum du site Lesgauchers.com. Après avoir consulté différents spécialistes, nous avons enfin compris que c’était un gaucher contrarié. Tout est compliqué pour lui. Il est suivi en cours particulier car ses résultats scolaires sont très moyens et nous commençons les séances de psychomotricité ».
Pourtant, être gaucher n’est pas forcément un handicap. Il serait même, selon certains, un atout. Il suffirait pour s’en convaincre de recenser le nombre de gauchers illustres, de Michel-Ange à Bill Gates en passant par Léonard de Vinci et Charlie Chaplin. En réalité, aucune recherche n’a démontré que les gauchers auraient des capacités intellectuelles ou cognitives supérieures à celles des droitiers.
Etre gaucher n’est donc ni un avantage, ni une tare, juste une spécificité qui peut s’avérer gênante dans la vie de tous les jours. Pourtant, il suffirait de pas grand-chose pour que les gauchers trouvent pleinement leur place dans ce monde de droitiers. Avant toute chose, les industriels pourraient développer des outils destinés aux gauchers. Si l’on peut désormais trouver assez facilement des ciseaux ou des taille-crayons « spécial gaucher », il en est autrement pour d’autres outils qui peuvent pourtant s’avérer pratiques. C’est le cas du guide-doigt, une petite bague en silicone qui s’enfile sur n’importe quel crayon pour en faciliter la prise en main. Si ce petit gadget tend à se répandre chez les droitiers, sa version « gaucher » est plus difficile à trouver.
Dans les activités extra-scolaires aussi les gauchers sont pénalisés. Trouver un club de golf ou une guitare « spécial enfant gaucher » à un tarif correct n’est pas forcément une mince affaire. Heureusement, des sites Internet spécialisés dans la vente d’objets pour gauchers se multiplient (Lamaingauche.com, Lesgauchers.com…).
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« Les enseignants ont un rôle à jouer »
La pédagogie aussi pourrait évoluer. A l’heure actuelle, faute de sensibilisation, rares sont les enseignants qui adaptent leur méthode d’apprentissage pour leurs élèves gauchers. « Je ne prévois rien de spécial pour eux, avoue une enseignante de primaire. La seule chose que je fais, c’est de leur écrire le modèle sur la droite de la feuille plutôt qu’à gauche quand je leur fais faire des lignes d’écriture ». « Nous avons pourtant un rôle de repérage et de prévention à jouer », estime Christelle Got. Dans sa thèse sur « la prise en compte des élèves gauchers à l’école », cette enseignante de l’académie de Montpellier alerte ses collègues sur la nécessité de mieux prendre en compte les spécificités des gauchers. « Il est par exemple indispensable, lorsque l’on effectue une séquence sur le saut en longueur, de consacrer une séance au choix du pied d’appel ». Idem lors des séances de symétrie, où le modèle doit être placé vers la droite de la feuille, et non sur la gauche. Les enseignants de CP doivent être particulièrement attentifs, notamment lorsqu’ils montrent aux enfants comment ils doivent former des lettres ou des chiffres. Certains enfants risquent en effet d’éprouver des difficultés à reproduire avec leur main gauche des gestes effectués par l’enseignant avec la main droite.
Selon Christelle Got, les enseignants pourraient même être chargés de réaliser quelques tests de latéralité pour obtenir un premier avis préventif sur des élèves hésitants. « Les enseignants, qui sont pour la plupart droitiers, n’ont pas conscience qu’ils doivent et peuvent aider les gauchers à entrer plus facilement dans les apprentissages, explique-t-elle. Ces aides ponctuelles (…) ne sont pas très contraignantes à mettre en place. (…) Elle sont très importantes, en particulier dans les classes de maternelle car les élèves ont l’âge auquel la latéralité s’installe définitivement ».
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REPERES

Des origines encore mal connues

Si elle ne fait plus aucun doute, l’origine génétique de la latéralité n’explique pas à elle seule pourquoi les droitiers sont si nombreux. Il semblerait en fait que d’autres facteurs interviennent, avant même la naissance. Sa position dans le ventre de la mère permettrait en effet au fœtus d’amener plus facilement au visage sa main droite que sa main gauche. Ce phénomène serait aussi exacerbé au début de la vie, l’enfant ayant plus tendance à utiliser sa main droite pour des raisons pratiques et par mimétisme des personnes qui l’entourent. Des études montrent que la moitié des bébés de 8 mois sont nettement droitiers alors que les autres ne montrent aucune préférence. Parmi ces derniers, certains vont finir par utiliser leur main gauche. Mais pour des raisons qui restent encore floues, d’autres vont afficher une latéralité moins marquée. Certains écriront des deux mains (ce sont les ambidextres), d’autres écriront avec leur main droite mais viseront avec l’œil gauche ou utiliseront leur pied gauche, pour jouer au foot, par exemple.
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POINT DE VUE

Jacqueline Fagard, chercheuse au CNRS, spécialiste des habiletés manuelles et de la latéralité

« Les recherches sur la latéralité ne permettent pas de conclure sur une différence de capacités cognitives entre les droitiers et les gauchers. Les parents n’ont donc pas d’inquiétude à avoir si leur enfant fait clairement le choix d’une main ou de l’autre. Le fait qu’il écrive de la main gauche mais vise avec l’œil droit ne pose pas non plus de souci particulier. En revanche, là où il faut être vigilant, c’est dans le cas où l’enfant hésite sur la main avec laquelle il doit prendre un crayon. Des études ont en effet montré que les déficits de latéralisation étaient plus présents parmi les individus ayant un trouble du développement, tels que le bégaiement, l’autisme ou encore la déficience mentale. Qui plus est, savoir instinctivement avec quelle main écrire évite de perdre du temps, notamment au début des devoirs sur table. Si vous voyez que votre enfant hésite, proposez-lui plutôt de tenir son crayon de la main droite. Sa vie future s’en trouvera facilitée. Et en cas de soucis plus importants, consultez un spécialiste. »
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TEMOIGNAGE

Daniel, 39 ans, gaucher contrarié

« Mes parents m’ont toujours expliqué que j’étais un « faux gaucher » et que le médecin leur avait conseillé de m’obliger à écrire de la main droite. Ce que j’ai fait. Cela ne m’a pas empêché d’être un bon élève et de faire des études plutôt réussies. Mais cette contrariété explique peut-être pourquoi j’écris aussi mal. Aujourd’hui, je suis incapable d’écrire de la main gauche. Par contre, dans certains domaines, j’ai conservé une certaine ambidextrie. C’est le cas notamment pour bricoler. Je peux en effet utiliser un tournevis ou un marteau aussi bien de la main gauche que de la main droite, ce qui peut s’avérer très pratique. »

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