DOSSIER

DOSSIER – Violence scolaire, comment la prévenir ?

Prévention, répression, protection… On a l’impression d’avoir tout tenté pour éradiquer la violence scolaire. Les uns après les autres, les ministres de l’Education nationale se sont efforcés de résorber le phénomène, avec une efficacité mitigée : le nombre d’incidents recensés à l’intérieur des établissements scolaires ne diminue pas. Certes, les faits les plus graves, qui font la une des médias, restent rarissimes. Mais, d’un autre côté, les faits mineurs et répétés sont nombreux. Des phénomènes nouveaux font même leur apparition, tel le cyber-harcèlement entre élèves. Quoi qu’il en soit, la violence scolaire est un fléau qu’il faut éradiquer, non seulement parce qu’elle intervient dans des endroits où les parents pensent leurs enfants en sécurité, mais aussi parce que les conséquences de cette violence scolaire sont bien plus larges que ce que l’on peut imaginer. Pour lutter contre ce phénomène, le ministre de l’Education nationale a mis en place une mission ministérielle qui a commencé à faire des propositions concrètes (lire notamment à ce propos l’entretien avec notre « Grand Témoin », Eric Debarbieux, qui dirige la délégation ministérielle chargée de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire).

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Morgane est âgée de 8 ans. Elle est en CE1, et depuis la rentrée, cette petite fille est régulièrement la cible de moqueries. Des coups lui auraient même été portés par des garçons de sa classe, sans raison apparente. Les parents de Morgane ont bien tenté d’alerter la direction de l’école, mais faute de réaction adéquate, le harcèlement continue. Ils voudraient bien porter plainte auprès de la police, mais ils ont peur des conséquences. Face à cette situation, ils se sentent démunis et pour protéger leur fille, ils ne voient qu’une solution : déménager.

Le cas de Morgane n’est pas isolé. Chaque année, quelque 100 000 actes de violence sont recensés dans les établissements scolaires français. Dans la grande majorité des cas, il s’agit d’atteintes physiques ou verbales à l’encontre d’autres élèves ou envers le personnel encadrant.  Les atteintes visant les biens (les vols, les dégradations…) ou la sécurité (la consommation ou le trafic de stupéfiants, le port d’arme blanche…) sont plus limitées.

Si les médias s’en font plus facilement l’écho, les agressions graves restent marginales. Un professeur frappé par un parent, une bande de jeunes qui fait irruption dans les locaux, un élève qui introduit une arme à feu dans un collège… Aussi spectaculaires soient-ils, ces actes graves sont finalement rarissimes. En fait, la violence scolaire est principalement constituée d’une myriade de faits, qui, pris chacun de leur côté, peuvent paraître anodins, mais qui, répétés et répétés encore, deviennent insupportables. Chaque jour, des élèves innocents sont insultés, frappés, menacés, rackettés…

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Des conséquences insoupçonnées

Face à cette situation, la lutte contre la violence scolaire doit être une priorité. D’une part parce l’Education nationale a une obligation légale de préserver l’intégrité physique et morale de son personnel et des enfants qui lui sont confiés. D’autre part parce que la violence scolaire, en détériorant le climat à l’intérieur des établissements, a un impact non négligeable sur les performances scolaires des élèves. Elle engendre du stress, des difficultés scolaires, de l’absentéisme. Certains élèves victimes de violence se retrouvent du jour au lendemain en situation de décrochage alors que rien ne le présageait. Les enseignants aussi subissent, à leur niveau, les effets de cette violence. « En ce moment, nous avons des élèves qui miment des actes à caractère sexuel sur les filles. Il faut écouter victimes et agresseurs, prendre des sanctions, faire des signalements, gérer les plaintes des parents… Tout ceci prend du temps et de l’énergie », souffle une enseignante d’école primaire située en zone d’éducation prioritaire.

Sans compter que ces actes répétés de domination peuvent engendrer de vrais traumatismes et avoir des conséquences parfois insoupçonnées, qui peuvent resurgir des années plus tard. Patrice, 20 ans aujourd’hui, se souvient comme si c’était hier de ses premières années de primaire. Pour avoir voulu porter assistance à une petite camarade victime de moqueries, il est devenu la cible d’un groupe d’enfants. « Ils m’enfermaient dans la cave de l’école, me frappaient pendant que l’un d’eux me mettait un couteau sous la gorge », raconte-t-il sur le blog Violencescolaire.fr. Mathias, lui, a été la cible de railleries une bonne partie de sa scolarité à cause de son poids. Un harcèlement qui l’a poussé à se replier sur lui-même. Patrice a réussi à sortir de son silence après que son frère a alerté ses parents. Mathias, quant à lui, a dû son salut au sport de combat qu’il s’est mis à pratiquer et à sa perte de poids. D’autres ont eu moins de chance. Les témoignages d’adultes manquant encore de confiance en eux, tombés dans la dépression ou ayant tenté de mettre fin à leurs jours à cause de violences subies pendant leur scolarité, sont nombreux.

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La sécurité est l’affaire de tous

Face à ce constat, les gouvernements successifs ne sont pas restés les bras croisés. Au gré des mauvaises statistiques et de la médiatisation de faits graves, chaque ministre de l’Education nationale en a été de son « plan anti-violence scolaire »). Aujourd’hui, la mission de maintenir un climat serein au sein des collèges et des lycées revient principalement aux Assistants d’éducation (AED) et aux Conseillers principaux d’éducation (CPE). Certains établissements disposent également d’adultes-relais, des jeunes en contrat d’insertion et chargés de faire le lien entre l’établissement scolaire et la vie du quartier. Et plus récemment, quelque 500 Assistants de prévention et de sécurité (APS) ont aussi été recrutés dans les collèges et les lycées les plus sensibles). Au-delà de ces « spécialistes », la lutte contre la violence est l’affaire de tous. Les enseignants comme l’équipe de direction, mais aussi les infirmières, les psychologues, les conseillers d’orientation… tous les adultes intervenant dans les écoles, collèges et lycées ont, à leur niveau, un rôle à jouer dans la lutte contre la violence scolaire. Celle-ci passe aussi par l’implication et la réactivité des collectivités locales qui, en tant que propriétaires des locaux et de leur entretien, doivent prendre à leur charge d’éventuels travaux de mise aux normes ou la remise en état rapide des lieux en cas de dégradations (une fenêtre brisée, une porte cassée…).

Les établissements doivent même faire l’objet d’un « diagnostic de sécurité », une sorte d’audit pouvant déboucher sur la mise en œuvre de travaux de sécurisation, voire des mesures plus radicales telles que la mise en place de portiques de sécurité ou de systèmes de vidéo-protection. Enfin, chaque académie dispose d’une équipe mobile de sécurité (EMS), un groupe de 10 à 50 personnes (enseignants, policiers, médiateurs…) prêt à intervenir dans les établissements en cas de crise grave et aider le personnel à gérer la situation.

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Des initiatives locales

De nombreuses actions sont aussi menées au niveau local. Des établissements scolaires ont noué des partenariats avec les forces de l’ordre, des magistrats ou des associations de quartier afin d’accueillir dans leurs locaux des intervenants extérieurs ou d’organiser des sorties sur le thème de la sécurité. A Rennes, des gendarmes se rendent tous les mois dans plusieurs écoles de la ville pour discuter avec des élèves de sujets liés à l’application de la loi. Un jour, la prévention des risques routiers est abordée. Une autre fois, ce sont les dangers d’Internet ou la sensibilisation aux conduites addictives qui sont au centre des discussions.

Le bureau information jeunesse de Sainte-Livrade-sur-Lot (47), quant à lui, a monté depuis l’année dernière une action baptisée « Stop à la violence » au cours de laquelle les élèves du CM2 à la cinquième sont invités à parler de leur expérience en matière de violence au cours d’ateliers pédagogiques de sensibilisation. Les élèves sont ainsi amenés à lire des livres sur le thème de la violence, à participer à des groupes de réflexion sur le racket ou la violence verbale, à monter des expositions, etc.

L’académie de Versailles, de son côté, a créé un Centre académique d’aide aux écoles et aux établissements (CAAEE), une structure chargée d’organiser des formations à l’attention des personnels afin de les aider à faire face à la violence dont ils peuvent être témoins, à traiter les incivilités, à gérer les situations de crise et à prendre en charge les victimes. Enfin, parce que la violence scolaire passe de plus en plus souvent par les nouvelles technologies, les établissements scolaires qui le souhaitent peuvent faire venir dans leurs locaux des intervenants d’E-enfance, une association agréée par l’Education nationale qui se donne pour mission d’informer les jeunes et leurs parents sur les risques d’Internet, les sensibiliser au cyber-harcèlement et à l’utilisation des réseaux sociaux. « Les jeunes ont souvent l’impression qu’ils ne risquent rien car ces attaques sont virtuelles, explique un CPE. Il est indispensable de leur expliquer ce qu’ils encourent réellement s’ils insultent ou harcèlent les autres sur les réseaux sociaux ».

Aucun remède miracle n’existe face à la violence scolaire, mais c’est par l’implication de tous qu’un climat serein, propice au travail et au bien-être, peut s’imposer.

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GRAND TEMOIN

Eric Debarbieux est spécialiste de la violence scolaire. Il dirige la délégation ministérielle chargée de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire.

On a parfois le sentiment que la violence scolaire est plus présente ou que les faits sont plus graves qu’avant. Qu’en est-il exactement ?

Les enquêtes montrent, depuis la fin des années 90, une stabilité des actes de violence en milieu scolaire. On note toutefois une violence plus collective en zone sensible, qui parfois s’exprime en violence « antiscolaire » touchant fortement les personnels, ou encore l’irruption de ce qu’on appelle la cyberviolence.

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En quoi la lutte contre la violence scolaire est-elle un enjeu majeur ?

La violence scolaire a un impact négatif sur les résultats scolaires et le bien-être des élèves et des enseignants. Elle peut mener à l’échec, au décrochage. L’absentéisme chronique, par exemple, est fortement lié à la peur du harcèlement, et cela y compris chez les très bons élèves. La recherche internationale montre que la victimation en milieu scolaire est largement corrélée à des dépressions, voire à un taux de suicide important à l’âge adulte. La violence à l’école est autant un problème de santé publique que de sécurité.

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Formation, prévention… a priori, les pistes suggérées dans le rapport d’étape présenté en février sont déjà connues. Qu’est-ce qui va changer par rapport à ce qui a déjà été fait ?

La volonté du ministre est très forte : il ne s’agit pas de « sensibiliser » simplement, ni d’être dans le grand « yaka »… nous créons des outils spécifiques avec le choix d’intervenir précocement (dessins animés vers les plus jeunes, kits pédagogiques pour les enseignants, fiches conseils pour les parents, formations sur un plan de plus de trois ans…).  Nous formons aussi des centaines de formateurs sur plusieurs années. Nous ne nous contentons pas de dire « vous devez faire », mais « voici comment faire ». En bref, et c’est historique, la loi de refondation de l’école a mis l’absolue obligation de lutter contre toutes les formes de violence au centre des projets éducatifs en outillant les praticiens et les établissements contre le harcèlement, mais aussi à travers des formations à la gestion de crise.

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Dans votre rapport, vous évoquez aussi un phénomène peu connu : le harcèlement entre enseignants…

Un enseignant sur quatre dit avoir déjà fait l’objet de violences répétées, le plus souvent verbales, de la part de ses collègues ou de sa hiérarchie. Outre des conséquences sur le personnel, cette violence a des répercussions sur la qualité de l’enseignement et sur l’absentéisme des enseignants. Le simple fait d’avoir publié ces résultats montre la volonté de transparence et l’importance de briser les tabous qui président à notre mission…. La refondation de l’école est une refondation par la bienveillance, d’abord envers les élèves, mais aussi envers les personnels et les parents. Le chantier est immense, historique. Ce n’est plus l’heure d’accepter les bricolages, mais bien celle d’une politique publique de longue haleine. C’est une lourde mission que Vincent Peillon m’a confiée, mais elle est exaltante.


BIO

Après avoir été éducateur, instituteur spécialisé puis professeur d’université, Eric Debarbieux a créé en 2004 l’Observatoire international de la violence à l’école. Il est aussi l’auteur de nombreux ouvrages tels que « Les Dix commandements contre la violence à l’école » (éditions Odile Jacob, 2008) ou « Violences à l’école : un défi mondial ? » (éditions Armand Colin, 2006).

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REPERES

Lutter contre la violence : une priorité pour les parents

En septembre, la PEEP présentait les résultats d’une grande enquête réalisée auprès des adhérents PEEP (voir sur lavoixdesparents.com). Les parents ont été interrogés sur les rythmes scolaires, la refondation de l’école… mais aussi sur les réformes à mener prioritairement. Après la lutte contre le décrochage scolaire et la revalorisation de l’enseignement professionnel, la réponse donnée par les parents d’élèves sur la question des réformes prioritaires est de « Travailler à apaiser le climat scolaire dans les établissements ». Preuve qu’au-delà des chiffres officiels sur la violence scolaire – relativement stables ces dernières années – le ressenti des parents sur le terrain exprime clairement une inquiétude.

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A chaque ministre sa solution

Plan Lang (1992) : recours à 2 000 professeurs appelés du contingent, signature de partenariats avec la police et la justice…

Plan Bayrou (1995/96) : création de postes de médiateurs, mise en service du numéro « SOS violence », recours à 1 200 professeurs du contingent, création de classes-relais pour les élèves en difficulté…

Plan Allègre (1997 et juillet 2000) : aggravation des sanctions pénales pour les auteurs de violence scolaire, création de 1000 postes d’ »adultes-relais », augmentation du nombre de classes et d’internats-relais…

Plan Lang (octobre 2000) : installation du Comité national de lutte contre la violence à l’école, mise en place du logiciel Signa de recensement des actes violents…

Plan Darcos (mai 2009) : création d’équipes mobiles de sécurité.

Plan Chatel (septembre 2009) : création des diagnostics sécurité, plan de formation à la gestion de crise et à l’exercice de l’autorité…

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POINT DE VUE

Laurent Lucchini, proviseur du lycée Victor Hugo de Marseille (13), accueille dans son établissement l’un des 500 Assistants de protection et de sécurité (APS)

« Depuis un an qu’elle est dans notre établissement, notre APS nous donne entière satisfaction. Elle n’intervient pas à proprement parler sur la sécurité, mais elle surveille les absences et anticipe les risques de décrochage. Elle reçoit les élèves en difficulté, prend contact avec les familles, cherche à analyser les raisons d’un mauvais comportement afin d’éviter que la situation n’empire, en lien avec les professeurs principaux, la direction, le CPE et le conseiller d’orientation. A ce titre, elle participe au maintien d’un climat serein au sein du lycée. Une telle réussite dépend en grande partie de la personnalité de l’APS. Celle qui intervient à Victor-Hugo a réussi à nouer de bons contacts avec l’équipe et à acquérir la confiance des élèves. Il ne faudrait pas penser que recruter un APS est une solution miracle dans la lutte contre le décrochage, mais c’est un élément qui nous a permis d’améliorer nettement la situation. En tout cas, nous ne pourrions plus nous en passer. »

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ZOOM SUR…

Le harcèlement scolaire

Une injure, un coup, une menace, une bousculade, un tirage de cheveux, une humiliation… Pris séparément, ces actes semblent anodins. Mais répétés quotidiennement et visant toujours le même élève, ils relèvent du harcèlement. 10 % des collégiens seraient victimes de harcèlement. En général, les élèves victimes sont pris en grippe à cause d’une particularité physique (un poids plus élevé que la moyenne, une couleur de cheveux originale…), d’un handicap (physique ou mental), d’un bégaiement, de centres d’intérêt différents, etc. Le harcèlement connaît désormais sa version numérique. Le cyber-harcèlement a la particularité d’être mené par l’intermédiaire des nouvelles technologies, par le biais de menaces ou des moqueries proférées sur les réseaux sociaux ou via des blogs, de rumeurs propagées par SMS, de diffusion de photos ou de vidéos humiliantes sur internet… Des troubles du sommeil, une irritabilité soudaine ou un renfermement sur soi peuvent être des signes qui doivent mettre la puce à l’oreille et inciter à engager le dialogue. Renseignements : www.agircontreleharcelementalecole.gouv.fr.

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L’INFO EN PLUS

Pas d’égalité face à la violence

13,6 incidents graves pour 1 000 élèves ont été recensés dans les établissements scolaires au cours de l’année 2011-2012, contre 12,6 pour 1 000 l’année précédente. Cette hausse, récurrente depuis 2 ans, les experts de l’Education nationale l’expliquent en grande partie par la plus grande participation des établissements aux enquêtes de « victimation » (études qui permettent de récolter des données sur les victimes d’actes de violence de toute nature), mais surtout par l’intégration dans les statistiques de faits qui, jusque-là, n’étaient pas pris en compte, comme la consommation d’alcool, les tentatives de suicide au sein de l’établissement ou, depuis l’année dernière, les faits de harcèlement.

En revanche, ce qui n’est pas sujet à caution, c’est la grande inégalité qui règne entre les établissements face à la violence. Les statistiques publiées en novembre 2012 dans la dernière note d’information de l’Education nationale montrent que la violence scolaire se concentre avant tout dans les collèges (15 incidents pour 1 000 élèves) et dans les lycées professionnels (19,6 incidents pour 1 000 élèves). Les lycées d’enseignement général et technologique, eux, restent globalement épargnés (5,5 incidents pour 1 000 élèves recensés).

Les établissements des zones sensibles sont aussi les plus exposés : 10 % des établissements concentrent la moitié des incidents répertoriés alors que 41 % des établissements n’ont signalé aucun fait de violence grave dans le trimestre précédant l’enquête. Les individus sont aussi les plus exposés. Les atteintes aux personnes représentent 81% des faits recensés, contre « seulement » 10 % pour les atteintes aux biens (vols, dégradations) et 9 % pour les atteintes à la sécurité (stupéfiants, port d’arme, intrusion…). La violence est verbale dans 40 % des cas et physique dans 33 % des cas (en hausse de 2 points par rapport à l’année précédente). Le racket, les atteintes à la vie privée ou le bizutage restent marginaux.

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