Le parcours chaotique des élèves surdoués
A partir de la rentrée 2013, les enseignants devront plus que jamais chercher à repérer les élèves surdoués et tenir compte de leur précocité. Une condition nécessaire si l’on veut éviter qu’ils ne tombent dans l’échec scolaire.
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GRAND TEMOIN
Conseiller d’orientation-psychologue dans le Val-d’Oise (95), Eric Turon-Lagot, 47 ans, est l’un des membres à l’origine de l’Association pour les enfants précoces de son département (AEP95) qui a pour mission d’informer les parents et de sensibiliser les professionnels. L’AEP95 gère aussi l’école Léonard de Vinci d’Herblay (95) qui accueille des enfants précoces de la maternelle à la troisième.
Il est l’auteur de « WISC-IV : une mesure de manifestation de l’intelligence chez l’enfant », un ouvrage destiné aussi bien aux professionnels qu’aux parents concernés par le sujet de la précocité.
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Comment des parents en viennent-ils à rencontrer un conseiller d’orientation-psychologue spécialiste des enfants précoces ?
Eric Turon-Lagot – En primaire, ils viennent généralement me voir à la demande d’un enseignant qui pense avoir détecté chez leur enfant des signes de précocité. Dans le cas des collégiens, ce sont plus souvent les parents qui prennent cette initiative suite à des mauvais résultats scolaires ou à des problèmes de comportement qu’ils attribuent à la précocité. Pour savoir si l’enfant est précoce ou non, je lui fais passer le WISC, un test destiné à évaluer ses compétences cognitives. Le fait qu’il soit hypersensible ou s’ennuie en classe peut confirmer ce que j’observe avec le test, mais ne signifie pas forcément qu’il est précoce.
Que révèle le WISC ?
L’échelle de résultat varie de 40 à 160 et on considère que l’enfant a un haut potentiel lorsqu’il obtient un score de 130 ou plus (score atteint par seulement 2,5 % de la population). L’intérêt de ce test est qu’il ne se contente pas de dépister la précocité. Il permet aussi de détecter un handicap intellectuel ou des troubles des apprentissages. L’expérience montre d’ailleurs que lorsqu’un enfant précoce est en échec scolaire ou qu’il présente des problèmes de comportement, c’est qu’il y a un autre problème : une myopie, une dyslexie, un trouble de la mémoire… La précocité n’est jamais la cause de l’échec scolaire. Il est donc primordial de détecter ce trouble et de le prendre en charge.
De votre point de vue, l’Education nationale répond-elle correctement aux besoins des enfants précoces ?
Tant qu’il ne présente pas de trouble associé, un enfant précoce parvient à s’adapter au système scolaire. Peut-être s’ennuiera-t-il plus que d’autres à certains moments ou qu’il sera un peu plus dissipé, mais tant que ce comportement ne dépasse pas certaines limites, ce n’est pas très grave. Le problème, c’est que la réussite scolaire de l’enfant précoce dépend en grande partie de la qualité de sa prise en charge. Et malheureusement, rares à l’heure actuelle sont les enseignants capables de repérer les signes de la précocité ou qui acceptent d’adapter leur pédagogie, en proposant à ces enfants des exercices plus difficiles ou en les laissant lire lorsqu’ils ont fini leur travail, par exemple.
Une étude récente a montré que 80 % des enseignants ne savaient pas que la loi les obligeait depuis 2005 à repérer les enfants précoces et à leur proposer un enseignement adapté. 40 % pensent même que la précocité est une invention des parents ! Améliorer la formation des enseignants sur le sujet est essentiel.
Faire « sauter » une classe à un enfant précoce est-il une bonne solution ?
Dans la mesure où on ne peut pas trouver de solution adaptée à chaque enfant, je trouve qu’il ne faut pas hésiter à avoir recours au passage anticipé. L’idéal, c’est de profiter du fait que l’enfant soit scolarisé dans une classe à double niveau. La transition pourra ainsi se faire en douceur. Si ce n’est pas possible, je recommande toujours aux parents de trouver une solution pour lui faire acquérir les notions qu’il n’aura pas pu voir afin d’éviter qu’il ne lui manque certaines bases.
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REPERES
Ecoles pour surdoués : toutes ne se valent pas
Faute de prise en charge efficace dans les établissements scolaires classiques, de nombreux parents se tournent vers des écoles spécialisées. Rien que dans le second degré, plus de 120 établissements publics et privés sous contrat ont mis en place des dispositifs particuliers pour les enfants précoces. La plupart sont installés en région parisienne ou dans les grandes villes de province. Qui plus est, il s’agit en général d’établissements privés dont les frais de scolarité peuvent atteindre 5 000 à 6 000 euros par an. Toutes ces écoles ne se valent pas. « Nous avons choisi de scolariser notre enfant dans une école Montessori. Il a fallu nous serrer la ceinture pendant quelques années, mais nous ne le regrettons pas tant l’enseignement y est adapté à chaque enfant, explique une maman. Par la suite, nous avons opté pour un collège proposant une section bilangue qui regroupait dans une même classe des enfants surdoués ». D’autres, au contraire, ne cachent pas leur déception. « Dans l’école de mon fils, il n’y avait pas de cour de récréation et les enseignants n’étaient pas formés pour encadrer des enfants précoces. En plus, le directeur acceptait aussi des enfants présentant des troubles sans qu’aucune aide ne leur soit apportée », explique une autre maman d’EIP. Pour faire votre choix, faites marcher le bouche-à-oreille. Et renseignez-vous auprès de votre inspection académique. Chacune d’entre elles doit avoir recensé les structures existantes et désigné un correspondant pour accompagner les parents d’enfants précoces dans leurs démarches.
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POINT DE VUE
Sophie, enseignante en Basse-Normandie
« La période la plus facile pour repérer un enfant précoce, c’est lorsqu’il se trouve en moyenne ou en grande section de maternelle car on constate généralement qu’il apprend à lire tout seul et qu’il montre une certaine facilité dans les apprentissages. Dans les classes supérieures, j’arrive aussi à les détecter car ils ont souvent l’air inattentif, ils sont parfois perturbateurs, et pourtant, quand on arrive à les intéresser, ils font preuve d’une grande vivacité d’esprit et ils obtiennent de très bons résultats aux évaluations. Si j’ai des doutes sur un élève, je le signale au Rased pour que le psychologue lui fasse passer des tests. Si la précocité est confirmée, j’en parle aux parents. Ce n’est pas toujours évident pour eux de comprendre et d’accepter que leur enfant, qu’ils pensaient souvent hyperactif, est en fait surdoué. Il faut les inciter à changer leur état d’esprit et leur façon de faire.
En fonction des résultats scolaires et de sa capacité à s’adapter, on peut être amené à envisager un passage anticipé. La décision ne se prend jamais seul mais en conseil des maîtres, en concertation avec les parents. Je me suis intéressée au sort des enfants précoces parce que j’en ai eu à plusieurs reprises dans ma classe. Malheureusement, la sensibilisation des enseignants est quasi inexistante et tous ne sont pas prêts à modifier leur manière d’enseigner. Ils sont encore trop nombreux à estimer que c’est à l’élève de s’adapter. »
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POUR EN SAVOIR PLUS
Où s’adresser ?
Si vous soupçonnez une précocité chez votre enfant, parlez-en à l’équipe enseignante ou à un médecin (scolaire ou pas). Faites réaliser un bilan par le conseiller d’orientation psychologue de l’établissement scolaire ou par un psychologue indépendant, de préférence spécialisé dans les enfants à haut potentiel.
Plusieurs associations peuvent également vous apporter leur aide, notamment l’Association pour enfants précoces (Aepfrance.info), l’Association française pour les enfants précoces (Afep-asso.fr) ou l’Association nationale pour les enfants intellectuellement précoces (Anpeip.org).