EDUCATION

Les nouveaux défis des langues régionales

En Bretagne, dans le Sud-Ouest, en Alsace et même en Polynésie française, des élèves apprennent les langues régionales que pratiquaient leurs aïeux. Cette démarche qui va bien au-delà de la simple préservation d’un patrimoine culturel et linguistique doit faire face à de nombreux défis.

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C’était l’une de ses promesses de campagne. Alors qu’il était encore candidat à l’élection présidentielle, François Hollande avait assuré qu’une fois élu, il ratifierait la Charte européenne des langues régionales. Le président de la République a finalement décidé de faire machine arrière, faute d’obtenir un avis favorable du Conseil d’Etat. Plus question de ratification. Le gouvernement a bien réaffirmé son intention d’accorder une plus grande place aux langues régionales. Un « Comité consultatif pour la promotion des langues régionales et de la pluralité linguistique interne » a même été créé par la ministre de la Culture, Aurélie Filipetti, afin de « redéfinir une politique publique en faveur de la diversité linguistique », notamment dans l’éducation. Mais le mal est fait et les associations de défense des langues régionales ne cachent pas leur déception.
Depuis la Révolution de 1789, le français est longtemps resté la seule langue à avoir droit de cité au sein de l’Education nationale. Il a fallu attendre la loi Deixonne de 1951 pour que soit reconnu officiellement le droit d’y enseigner des langues minoritaires. L’occitan, le breton, le basque et le catalan ont été les premières à faire leur apparition dans les écoles publiques. D’autres langues les ont rejointes par la suite : le corse, le créole, le gallo, les langues d’Alsace et du pays mosellan, le tahitien et les langues mélanésiennes.
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Le bilinguisme à l’honneur
Aujourd’hui, il est ainsi possible dans certains collèges d’apprendre le breton, le basque ou une autre langue régionale dans le cadre d’options faisant l’objet d’une ou plusieurs épreuves au diplôme national du brevet (DNB) et au baccalauréat. Mais la voie royale, c’est la filière bilingue. Les élèves doivent forcément l’intégrer dès le primaire et peuvent généralement la suivre jusqu’en terminale. Les programmes dispensés y sont les mêmes que dans toutes les écoles de France. Comme dans n’importe quelle autre classe, une langue étrangère est enseignée à partir du CE2. La seule différence, c’est que certaines matières sont dispensées en français alors que d’autres le sont dans la langue régionale. « Au début de chaque cours, je choisis de parler soit en français, soit en breton. Je demande alors aux élèves de ne parler que cette langue pendant toute la séance, explique un enseignant. Le reste du temps, nous communiquons exclusivement en breton ».
La méthode est efficace. Rapidement, les élèves maîtrisent parfaitement les deux langues et jonglent sans souci de l’une à l’autre. Bien sûr, ce bilinguisme précoce joue un rôle important dans la transmission des langues régionales et, en permettant à certains enfants de communiquer plus facilement avec leurs grands-parents, renforce le lien entre les générations. Il développe aussi un esprit d’ouverture et de tolérance à l’égard des autres cultures.
Mais de l’avis de tous les experts, les élèves qui suivent cet enseignement en tirent aussi de sérieux bénéfices personnels pour toutes les autres matières. En renforçant leur capacité à réfléchir sur les règles qui sous-tendent le langage, le bilinguisme aide les élèves dans leur apprentissage des autres langues. Et en leur faisant appréhender l’abstraction, il leur facilite l’apprentissage des mathématiques, par exemple.
« Ni moi ni mon mari ne parlons breton, et pourtant, nos trois enfants ont suivi un cursus bilingue. Pour les deux premiers, c’était un peu par hasard. L’école le proposait et on trouvait intéressant qu’ils apprennent une autre langue que le français dès leur plus jeune âge, quelle qu’elle soit, se souvient Judith Castel, aujourd’hui présidente de la fédération Div Yezh pour l’enseignement du breton dans l’école publique. Mais pour mon troisième enfant, ça a été un vrai choix tant ce bilinguisme précoce avait apporté aux aînés. Ils ont d’ailleurs suivi cet enseignement jusqu’au baccalauréat ».
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Des obstacles à surmonter
Rares sont les parents ayant goûté au bilinguisme à ne pas être convaincus de son utilité. Pour autant, la situation est loin d’être simple. Associations et élus locaux qui militent chaque jour pour lui donner une place plus importante doivent faire face aux critiques d’opposants qui voient dans le bilinguisme une réponse à des velléités communautaires contraire à la vocation universelle de  l’Education nationale et qui dénoncent les coûts supplémentaires et les problèmes de cohérence de l’enseignement qu’il engendrerait. Ils se heurtent aussi à des problèmes d’ordre pratique, tels que la modification d’une année sur l’autre des épreuves du brevet et du baccalauréat ou le manque d’enseignants bilingues et de supports pédagogiques adaptés.
Pour remédier à cette situation, les collectivités locales n’hésitent pas à mettre la main au porte-monnaie. Le Conseil général du Haut-Rhin, par exemple, met à la disposition des établissements scolaires du personnel qualifié pour encadrer des projets liés à l’apprentissage de l’alsacien. Pour relancer la formation de professeurs des écoles occitanophones, les Conseils régionaux d’Aquitaine et de Midi-Pyrénées ont, de leur côté, monté un système de bourse destiné à pousser un maximum de jeunes à devenir enseignants bilingues français-occitan.
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Des approches innovantes
Autre souci : l’inéluctable désaffection des élèves au moment de l’entrée au collège, une partie d’entre eux faisant le choix de retrouver un cursus classique, soit parce que le collège bilingue le plus proche se situe loin de leur domicile, soit parce qu’ils estiment plus utile de consacrer un maximum temps à l’apprentissage des langues étrangères. Pour conserver intacte leur motivation tout au long de leur cursus, des établissements tentent des approches ludiques. Ainsi, à l’école André Weckmann de Roeschwoog, dans le Bas-Rhin (67), les enfants reçoivent régulièrement la visite de l’écrivain local qui a donné son nom à l’établissement pour leur raconter des histoires et parler avec eux en alsacien. Au collège Lazare de Schwendi à Ingersheim (68), les élèves ont présenté dans une salle parisienne une pièce de théâtre en alsacien.
Aussi novatrices soient-elles, ces expériences ne pourront jamais à elles seules résoudre toutes  les difficultés qui se dressent devant les langues régionales, et qu’elles devront impérativement surmonter si elles veulent un jour trouver une vraie place au sein de l’Education nationale.

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REPERES

Chiffres clés

A la rentrée 2012, 74 779 élèves suivaient un cursus bilingue associant à part égales le français et une langue régionale. Pour 72 % d’entre eux, cet enseignement se fait dans le cadre de l’enseignement public. Les autres se répartissent entre écoles associatives et privées. Avec plus de 26 000 élèves au primaire et dans le secondaire, l’alsacien est le plus représenté. Le breton et le basque sont aussi largement enseignés (respectivement 14 500 et 13 200 élèves). Le corse et l’occitan arrivent juste derrière (8 600 et 7 300 élèves).

Source : Fédération pour les langues régionales dans l’enseignement public (Flarep).

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POINT DE VUE

David Grosclaude, conseiller régional d’Aquitaine et président du Parti occitan

« Nous nous employons à développer le bilinguisme car les parents sont très demandeurs pour leurs enfants d’un enseignement « de » et « en » langue régionale. Nous devons malheureusement faire face à de nombreuses résistances. Il arrive trop souvent, par exemple, que les parents réclament la création d’un cursus bilingue, que la municipalité y soit favorable, mais que les équipes pédagogiques s’y opposent catégoriquement. Nous avons un autre problème majeur, c’est le manque cruel d’enseignants. Malgré nos efforts, trop peu de jeunes se présentent aux épreuves. Il nous faudra encore beaucoup d’efforts pour renforcer l’apprentissage de l’occitan et des autres langues régionales. Pour ma part, je milite pour qu’une loi reconnaissant pleinement le droit d’apprendre une langue régionale à l’école soit votée. Il n’est pas question d’imposer cet enseignement à tous les enfants, mais il faut que les parents qui veulent que leur enfant apprenne une langue régionale puissent le faire dans de bonnes conditions. »

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TEMOIGNAGE

Loïc Jadé, professeur bilingue en classe de CM1/CM2 à l’école primaire de Plomeur (29)

« Les parents qui inscrivent leurs enfants dans les classes bilingues le font moins dans un souci de préservation du patrimoine linguistique que parce qu’ils savent ce que cet enseignement apportera à leur enfant. D’ailleurs, deux tiers de mes élèves n’ont aucun des deux parents qui parle le breton. C’est dire que le bilinguisme précoce est le résultat d’une vraie réflexion. Parce qu’ils pratiquent le breton depuis leur plus jeune âge, je constate par exemple que mes élèves maîtrisent mieux que les autres le système d’intonation essentiel dans l’apprentissage de certaines langues étrangères.

Ils se rendent compte aussi très tôt que la structure des phrases peut être différente d’une langue à une autre. Du coup, ils apprennent plus facilement l’anglais et les autres langues étrangères. Surtout, ils savent qu’ils peuvent se tromper. Ils n’hésitent donc pas à parler, quitte à faire des erreurs ».

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