DOSSIER

DOSSIER – Les relations parents-enseignants

Ils ont en commun la même volonté farouche de faire réussir les élèves. Pourtant, parents et enseignants n’arrivent pas toujours à se comprendre. Si les agressions physiques relatées par les médias sont rarissimes, tensions et incompréhensions font partie du quotidien. Il faut dire que tout les oppose. Alors que les enseignants se forgent un point de vue strictement professionnel sur l’instruction de chaque élève, les parents intègrent logiquement une dimension affective dans leur jugement. Alors que les premiers doivent gérer un groupe, les seconds pensent avant tout à  leur progéniture. Pourtant, il ne fait plus de doute que la qualité de la relation qu’ils entretiennent joue un rôle très important sur l’attitude de  l’enfant et sur ses résultats scolaires. Après des décennies de laisser-aller, les pouvoirs publics tentent d’inverser la tendance. Et certains établissements, bien décidés à prendre le problème à bras-le-corps, lancent des initiatives.
CB

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Entre les enseignants et les parents, c’est un peu « Je t’aime, moi non plus ». Si les relations n’ont jamais été au beau fixe, la situation aurait encore tendance à se dégrader. La crise économique et les menaces qui pèsent sur le marché du travail n’y sont pas étrangères. De l’avis de la plupart des parents, jamais l’école n’avait joué un rôle aussi important dans l’avenir de leurs enfants. Une série de mauvaises notes, une sanction jugée injuste, de mauvaises appréciations dans le carnet peuvent suffire à générer des tensions et créer un conflit. Et de toute évidence, les mesures mises en place pour renouer le dialogue sont loin d’être suffisantes.

Il faut dire que les parents ont longtemps été tenus à l’écart de l’école. Il a fallu attendre 1968 pour que la situation commence à évoluer et le vote de la loi d’orientation sur l’école en 1989 pour que les parents d’élèves soient enfin considérés comme des « membres à part entière de la communauté éducative ». « Leur participation à la vie scolaire et le dialogue avec les enseignants et les autres personnels sont assurés dans chaque école et dans chaque établissement », précise désormais l’article 111-4 du code de l’éducation. En 2006, plusieurs textes sont encore venus renforcer les droits des parents à l’école. Un décret (n° 2006-935) a accentué le rôle des associations de parents d’élèves et une circulaire (n° 2006-137) a précisé le rôle et la place que devaient tenir les familles à l’école.

Aujourd’hui, les parents sont plus que jamais impliqués dans la vie des établissements. Leurs représentants élus siègent aux conseils de classe, aux conseils d’école et aux conseils d’administration des collèges et des lycées. Que ce soit en primaire ou au secondaire, le chef d’établissement est tenu de recevoir les parents des nouveaux inscrits pour les informer de l’organisation des journées (horaires des cours, temps de pause, de rencontre…), du contenu des programmes, des activités extra-scolaires ou encore des dispositifs de soutien aux enfants en difficulté… Deux réunions parents-professeurs obligatoires doivent aussi être organisées et les enseignants sont tenus tout au long de l’année de répondre positivement aux demandes d’entrevue des parents.

Incompréhensions

Sur le papier, tout semble être fait pour que parents et enseignants échangent et communiquent. Sur le terrain, pourtant, la situation est loin d’être idyllique. Alors que les parents sont nombreux à juger les enseignants peu accueillants, cherchant plus à asseoir leur autorité qu’à créer un vrai dialogue, les professeurs, eux, dénoncent des représentants légaux trop souvent absents et pas assez préoccupés par la scolarité de leur enfant. « En général, il n’y a tout au plus que 5 ou 6 parents présents à la réunion d’information du début d’année, déplore Annie, enseignante en primaire dans un établissement difficile d’Ile-de-France. Et certains absents osent demander à me voir la semaine suivante parce qu’ils ne comprennent pas ma façon de travailler. Mais au moins ceux-là, je les vois. Il y en a d’autres que je n’arrive pas à rencontrer de l’année malgré mes demandes répétées ».

Un « Je m’en foutisme total »

Dans le livre Parents, enseignants… La guerre ouverte ? (sous la direction de Philippe Béague, mars 2007, co-édition Couleurs livres – Chronique sociale), Chantal Letor, institutrice en maternelle depuis plus de 30 ans, estime que 50 % des parents ne s’impliquent pas suffisamment dans la scolarité de leur enfant. « Deux attitudes sont adoptées, décrit-elle abruptement. La première : le « je m’en foutisme total » avec des parents qui ne suivent pas le travail scolaire de leur enfant mais qui, à la moindre remarque, déboulent à l’école. Ils ont placé leur enfant dans une espèce de cocon et toute interpellation des enseignants est vécue comme une injustice vis-à-vis de leur enfant ou une attaque personnelle vis-à-vis d’eux-mêmes ou de l’éducation qu’ils donnent. La deuxième : une difficulté de contact avec l’enseignant. C’est le cas des familles paupérisées. » Ce dernier cas est plus fréquent qu’on ne le croit. Car malgré ses efforts d’ouverture, l’école reste trop souvent un lieu peu accueillant dans lequel certains parents n’osent pas s’aventurer. Pas de personnel chargé de l’accueil ni de créneau horaire dédié, pas de lieu réservé à la rencontre des parents… du coup, les enseignants n’ont souvent d’autre choix que d’accueillir les familles dans la classe ou au détour d’un couloir. Autre problème : le manque de formation des enseignants à l’accueil des parents. Chantal Letor reconnaît que, par malaise face au niveau social de certains parents ou par crainte de réactions inappropriées, beaucoup d’enseignants sont sur la défensive au moment de rencontrer les parents. « J’ai déjà reçu des insultes et fait l’objet de menaces, alors c’est vrai que quand un parent vient me voir, je suis sur mes gardes », admet Annie.

Des initiatives locales

Pour apaiser les tensions et prévenir les conflits, le médiateur de l’Education nationale a édité un guide pratique intitulé « Pour un dialogue réussi ». Aux enseignants, il recommande entre autres de prendre garde à utiliser des mots simples et compréhensibles par tous et d’« inviter » ou « convier » les parents plutôt que de les « convoquer ». Autres conseils : informer les parents avant le jour J du motif de la rencontre et veiller à ne pas rabaisser l’élève devant eux mais plutôt chercher à valoriser ses efforts. Les parents, de leur côté, sont invités à ne pas se rendre à l’entretien avec des préjugés, mais plutôt écouter l’enseignant et vérifier avec lui les faits qui peuvent être reprochés à leur enfant.

Au niveau local, des initiatives sont menées dans un certain nombre d’établissements afin de rencontrer régulièrement les parents, et pas seulement lorsqu’un problème apparaît. Au collège André-Malraux d’Asnières (92), considéré comme difficile, les enseignants organisent régulièrement des dîners avec les parents. A Saint-Etienne (42), les parents d’élèves de l’école maternelle Gounod ont la possibilité, certains matins, de rester une vingtaine de minutes dans la  classe afin de voir comment se comporte leur enfant et comment travaille l’enseignant. A Marseille (13), les parents qui le souhaitent sont conviés à des cours d’alphabétisation dont le contenu repose essentiellement sur la connaissance de l’école française et l’apprentissage des fonctions parentales (alimentation, sommeil de l’enfant, etc.) alors qu’à Mulhouse (68), une classe passerelle accueille les petits dès 2 ans avec leurs parents afin qu’ils partagent des activités au sein d’une école maternelle et qu’ils bénéficier des conseils de spécialistes de l’éducation.

Une implication « essentielle »

Et ça fonctionne ! Dans la plupart des cas, les équipes enseignantes constatent une amélioration du comportement à la fois des parents et des enfants. Philippe Meirieu, de son côté, voudrait même aller plus loin. Dans une interview accordée le 19 octobre 2008 au journal régional Le Progrès, ce spécialiste reconnu des sciences de l’éducation propose que chaque parent passe au moins une journée dans la classe de son enfant. Ce temps, qui pourrait être libéré par les employeurs, permettrait selon lui aux parents de voir de quelle manière travaillent les enseignants. « On pourrait organiser cela par petits groupes, avec un temps de réflexion et de discussion à la fin de la journée », imagine-t-il.

On n’en est pas là, mais ces initiatives montrent que l’idée de renforcer les relations entre parents et enseignants continue à faire son chemin. D’ailleurs, l’été dernier, une nouvelle circulaire (n° 2012-119 datée du 31 juillet 2012) a été distribuée aux enseignants. Elle leur rappelle notamment que « l’implication des parents est essentielle » pour parvenir à « créer les conditions d’un climat scolaire serein ».

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TEMOIGNAGE

Françoise Sire, maman de 3 enfants et représentante de la PEEP à l’école primaire Alfred de Musset de Levallois-Perret (92)

« Personnellement, je n’ai jamais rencontré de difficultés dans les relations avec les enseignants. Au primaire, il suffit de les aborder à la sortie de la classe pour avoir des réponses à ses questions ou dissiper un malentendu. Dans le secondaire, c’est un peu plus compliqué. Il faut prendre rendez-vous, trouver un créneau et adopter la bonne attitude. J’ai remarqué que des mots mal choisis pouvaient envenimer une situation. C’est pour cette raison que je conseille aux parents, en cas de souci, de se rapprocher des représentants de parents d’élèves qui sont les plus à même de savoir si d’autres parents ont formulé des remarques similaires et les mieux placés pour agir directement auprès du chef d’établissement en préservant l’anonymat des familles. Les parents doivent aussi apprendre à intervenir à bon escient. Le fait qu’un enseignant donne plus ou moins de devoirs que ses collègues n’est pas, à mon sens, une critique recevable. En revanche, si un professeur se montre beaucoup trop exigeant avec tous les élèves, nous pouvons intervenir. »

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REPERES

En première ligne : les associations de parents d’élèves

En cas de conflit avec un enseignant, les représentants de la PEEP sont là pour vous informer sur vos droits et vous donner des conseils sur la conduite à tenir. Ils peuvent également porter votre voix au conseil de classe, au conseil d’école et dans toutes les instances auxquelles ils participent aux niveaux départemental ou académique, voire faire office de médiateur entre vous et les membres de l’équipe éducative ou le chef d’établissement. Ils pourront aussi tenir compte de votre cas lorsqu’ils participeront à la rédaction du projet d’école ou du règlement intérieur (au primaire) ou lorsqu’ils seront amenés à donner leur avis sur la vie de l’établissement, notamment dans le cadre du conseil d’administration (au collège).

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REPERES

Le carnet de correspondance au collège

Remis à chaque collégien en début d’année, le carnet de correspondance contient notamment ses nom, prénom, adresse, photo ainsi que son emploi du temps et le nom de ses professeurs. C’est aussi son laisser-passer. Le collégien doit impérativement le présenter au surveillant pour entrer et sortir de l’établissement. C’est aussi par ce biais que la famille et l’équipe enseignante peuvent correspondre, prendre rendez-vous, faire part d’un problème… Véritable lien entre la famille et le collège, le carnet de correspondance contient enfin des billets d’absence et de retard et recense avertissements et retenues.

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Le médiateur de l’Education nationale

En cas de litige avec l’institution, les parents d’élèves peuvent saisir le médiateur de l’Education nationale. Pour ce qui concerne un problème avec un établissement ou un service relevant de l’académie (direction des services départementaux, rectorat, etc.), la demande doit être adressée au médiateur de l’académie concernée. Pour des demandes relevant des services centraux (ministère, Onisep, service des examens et concours…), c’est au médiateur de l’Education nationale qu’il faut adresser sa requête. Selon le cas, celui-ci déclarera la demande infondée (dans ce cas, des explications seront adressées à la famille) ou tentera de trouver une solution auprès des services de l’Education nationale. Formulaire de saisine et coordonnées des médiateurs sur Education.gouv.fr/mediateur.

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POINT DE VUE

Patricia Morini, professeur en sciences économiques et sociales au lycée Marguerite-Yourcenar de Morangis (91)

« Dans l’établissement où j’exerce, nous n’avons jamais eu de problème pour rencontrer les parents, malgré les contraintes de chacun. Au contraire, nous constatons que depuis quelques années, les familles demandent de plus en plus à nous voir. Même les parents d’élèves de terminale veulent nous rencontrer alors que ce n’était jamais le cas auparavant. Ils sont très inquiets sur l’avenir de leur enfant, sur les métiers qu’il pourra exercer, les débouchés proposés… Ils se posent aussi beaucoup de questions sur la lourdeur des nouveaux programmes, sur les nouvelles épreuves du bac et sur les conséquences de la baisse des heures allouées qui vont empêcher certains élèves de redoubler dans notre établissement. »

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