EDUCATION

EDUCATION – Apprentissage de l’orthographe : quelles règles ?

Le niveau en orthographe est un sujet récurent. Chaque année, la baisse semble s’accentuer et l’enseignement du français doit évoluer en conséquence. Examen de la discipline à la loupe.

Savez-vous que le “ph” de nénufar est devenu un “f” ? Que le “e” du verbe assoir a disparu, qu’imbécilité a perdu un “l” et que charriot a gagné un “r” ? Instaurées en 1990 par l’Académie française, ces nouvelles règles sont loin d’être gravées dans tous les esprits… Et encore moins dans ceux de nos chères têtes blondes qui, d’après de récentes études, ne progressent guère en orthographe, malgré ces mesures censées faciliter cet apprentissage essentiel.
La vingtième édition de « l’Etat de l’école » (publiée par le ministère de l’Education, novembre 2010) indique qu’entre 1997 et 2007, la proportion d’élèves en difficulté de lecture à l’entrée en sixième est passée de 14,9% à 19%. Une dégradation qui ne concerne pas les mécanismes de base de la lecture, mais bien les compétences langagières, en particulier le vocabulaire et l’orthographe. Plus concrètement, le nombre d’erreurs en moyenne sur une dizaine de lignes est passé de 10,7 en 1987 à 14,7 en 2007. Dans le même intervalle, le pourcentage d’élèves qui commettent plus de 15 fautes fait aussi un bond, passant de 26% à 46%.
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A la source du problème
Face à un tel constat, qui incriminer : l’école ? les distractions modernes comme la télévision, les téléphones portables et les ordinateurs ? Enseignante de CP dans le Var, Nadine Guidoni pointe, elle, l’accumulation de nouvelles matières : « Les programmes ont été modifiés en 20 ans. Depuis 1987, le temps de travail effectif en français a été diminué (1) et se sont rajoutés : l’histoire de l’art, l’informatique, les langues vivantes, un enseignement spécifique sur l’Europe, le développement durable, la sécurité routière et domestique, l’hygiène alimentaire, les premiers secours… et j’en oublie. On ne peut pas demander aux élèves d’acquérir parfaitement toutes les compétences dans tous les domaines. » Doués d’un sérieux sens de la réflexion et d’un bagage culturel plus riche, les enfants d’aujourd’hui subissent peut-être un excès d’ambitions de la part de l’Education nationale.
Pour Antoinette, qui a suivi les scolarités de ses quatre enfants et aujourd’hui celles de ses trois petits-enfants, le système aurait perdu en rigueur. Il y a 50 ans, ses fautes d’orthographe étaient sanctionnées plus que sévèrement (moins quatre points pour la conjugaison, moins deux points pour un accord de genre ou nombre, moins 1,5 point pour un accent) : « Même l’oubli de majuscule était pénalisé ! Il suffisait de faire cinq fautes pour rentrer avec un zéro à la maison. Les notations ont ensuite été assouplies, mais je constate que, sur les copies des jeunes d’aujourd’hui, les fautes d’orthographe passent presque au second plan dans la correction de l’enseignant. » L’école des années 2010 étant davantage dans l’évaluation que dans la sanction, la peur du zéro ne serait donc pas l’arme fatale de la situation.
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Une réforme à double tranchant
Serait-il alors à notre langue – et ses subtilités – de se remettre en cause ? En 1990, les instances francophones compétentes, parmi lesquelles l’Académie française, se penchent sur la question et proposent quelques rectifications orthographiques touchant environ 2 000 mots. Le but : unifier certaines graphies, supprimer des incohérences et clarifier des situations confuses (lire l’encadré page ci-contre).
Pour Nadine Guidoni, il devrait importer à chacun de prendre en compte cette réforme : « Les médias, les éditeurs… personne ne semble vraiment l’appliquer. Elle reste pourtant, à mon sens, très minimale. Toute langue vivante évolue et le français n’échappe pas à cette évolution. Seules les langues mortes ne changent pas. »
Reste que, à part les dictionnaires les plus récents et les actualisations de logiciels informatiques, rares sont les auteurs, éditeurs ou journalistes à opter pour ces nouvelles orthographes. Même les livres scolaires peinent à se mettre à jour.
A l’approche de la retraite, Philippe Macet, professeur des écoles à Paris craint, quant à lui, les effets pervers de cette réforme : « Ces mesures ne sont pas connues car elles semblent mauvaises et illogiques pour beaucoup de monde, enseignants ou pas. Non seulement elles risquent d’affaiblir la richesse de notre langue, mais il existera toujours un décalage entre ceux qui l’ont intégrée et les autres. La candidature d’un élève appliqué pourra, par exemple, être rejetée car l’employeur pensera que sa lettre de motivation est truffée de fautes. » La situation n’est, néanmoins, pas en suspens depuis 22 ans : le groupe d’Etudes pour une rationalisation de l’orthographe française (Erofa), auquel participent des linguistes, continue de travailler sur la délicate question.
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Des solutions multiples
Autre levier actionné, sans doute le plus évident : une révision des méthodes et de la fréquence des leçons de français. Comme le souligne, l’enseignante du Var : « Peu de professeurs des écoles sont formés à enseigner l’orthographe autrement que par un apprentissage de règles formelles et leur application systématique dans des dictées. »
Aussi, avant de céder son siège à Vincent Peillon, le précédent ministre de l’Education Luc Chatel avait-il adressé une circulaire pour définir les principes destinés à favoriser l’apprentissage de l’orthographe. La discipline devait alors être « enseignée de manière complémentaire à la grammaire et au vocabulaire », indique le document, lequel s’accompagne d’une plaquette proposant une série d’exercices types tels qu’apprendre des listes de mots à orthographe régulière (“bonobo”, par exemple) et irrégulière (“python”) et y revenir régulièrement, faire des dictées préparées, des jeux comme le pendu, des quiz orthographiques…
Nadine Guidoni, pour sa part, ajoute que l’approche de la langue pourrait faire l’objet d’une révision plus profonde : « Je crois qu’il faudrait amener l’enfant à différencier ce qui fait l’objet d’une simple mémorisation de ce qui nécessite un raisonnement logique, comme dans les exercices de grammaire. Il faudrait travailler l’orthographe dans toutes les disciplines, en faire une compétence à part entière. » En définitive, pour redresser la barre, les efforts devront être soutenus et coordonnés.
AJ
Note
1. Le temps d’étude de la langue française a été réduit de moitié en CE2 entre 1923 et 2007. En 2012, un élève de 6e étudie le français 4 heures par semaine, contre 7 heures dans les années 1980.

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POINT DE VUE

Bernard Fripiat, formateur en orthographe

« Je ne pense pas que le niveau en orthographe ait réellement baissé. Notre rapport à l’orthographe est ainsi : les aînés accusent bien souvent les nouvelles générations d’être moins douées en orthographe qu’eux. C’était déjà le cas il y a 30 ans ! Ce qui change aujourd’hui, c’est que tout le monde doit écrire et surtout, écrire vite. Aussi, le chef d’entreprise qui, autrefois, transmettait ses notes à une secrétaire, rédige aujourd’hui lui-même certains de ses emails ou autres documents avec les fautes que l’on corrigeait pour lui auparavant.

Ces changements technologiques touchent aussi les bons élèves qui, à 9 h, ont les yeux en face des trous mais qui, à 20 h, souffrent des effets de l’écran de l’ordinateur. Appuyer sur la touche “envoi” a un effet psychologique très fort et en fin de journée, il s’agit souvent de se débarrasser du travail. Selon moi, la solution consisterait, en premier lieu, à prendre conscience de l’importance de la faute, puis à ne plus faire de fautes sur ordinateur. Grands comme petits doivent accorder une confiance modérée au correcteur orthographique. En outre, bien que ne faisant pas partie de l’Education nationale, j’estime que l’accent devrait davantage être mis sur l’essentiel. Par exemple, l’étude de la forme pronominale est plus importante que le passé simple. Enfin, la notion d’humour dans cet apprentissage n’est pas négligeable. S’amuser accentue le côté affectif que nous entretenons pour notre langue et surtout aide à retenir ces leçons parfois complexes. »


Plus de renseignements sur les formations sur Orthogaffe.com.

Bernard Fripiat est l’auteur de 99 questions à mon coach d’orthographe, éditions Demos.

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REPERES

Exemples de nouvelles règles d’orthographe

• L’accent circonflexe disparait sur i et u, comme dans “cout”, “entrainer”, “paraitre”. On le maintient néanmoins dans les terminaisons verbales du passé simple, du subjonctif et dans cinq cas d’ambiguïté : les adjectifs masculins singuliers “dû”, “mûr” et “sûr” ; “jeûne” et les formes de “croitre” qui, sans accent, se confondraient avec celles de “croire” (je croîs, tu croîs, etc.).

• Les numéraux composés sont systématiquement reliés par des traits d’union. On écrit désormais vingt-et-un, deux-cents, un-million-cent ou encore trente-et-unième.

• Dans les noms composés avec trait d’union du type verbe+nom ou préposition+nom, le second élément prend la marque du pluriel seulement et toujours lorsque le mot est au pluriel. Ainsi un “compte-gouttes” devient “compte-goutte”.

Restent invariables les mots comme “prie-Dieu” à cause de la majuscule, “trompe-la-mort” à cause de l’article.

Toutes les règles se trouvent sur le site Orthographe-recommandee.info. Notons que, conformément à la décision de l’Académie française, « aucune des deux graphies [ni l’ancienne ni la nouvelle] ne peut être tenue pour fautive »…


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INTERVIEW
Delphine Guichard, enseignante dans le Loiret, auteur du blog
Charivarialecole.fr

D’après vous, le niveau en orthographe baisse-t-il vraiment ?

Je pense que le niveau d’orthographe des bons élèves a effectivement baissé. L’explication me semble assez simple : les programmes prévoient beaucoup moins d’heures d’enseignement de l’orthographe qu’en 1950. On demande aux maîtres d’aujourd’hui d’enseigner beaucoup plus de choses qu’avant, en moins de temps. Il n’y a pas de miracles.

Quel regard portez-vous sur l’application de la réforme de l’orthographe ?

Je parle plutôt de “rectifications” que de réforme, car cela ne touche que très peu de mots. Selon moi, il faudrait que ces rectifications soient plus enseignées à l’école.

Néanmoins, ce n’est pas facile pour les maîtres car nos manuels ne sont pas tous à jour… même si cela commence à venir !

Quelles sont vos pistes pour améliorer le niveau des élèves ?

Pour être bon en orthographe, on dit souvent qu’il faut lire. Je crois surtout qu’il faut écrire. Mais attention, pas n’importe comment ! Il faut écrire en étant vigilant sur son orthographe.

Toutes les activités de réflexion autour du fonctionnement de la langue (transformation de phrase en genre, en nombre ou le temps de conjugaison) et toutes les activités d’écriture “vigilante” (dictée, rédaction, écriture des solutions des problèmes…) sont donc à encourager.

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