EDUCATION

EDUCATION – Evaluation : vers une réforme ?

Jugé injuste, arbitraire, démotivant, le système d’évaluation des acquis est régulièrement décrié. Mais il pourrait changer. Le nouveau ministre de l’Education nationale a annoncé son intention de le réformer.

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Parfois attendues, souvent redoutées, les notes font partie intégrante du paysage scolaire français. Impossible de les ignorer. Installées au cœur du système d’évaluation, ce sont elles que les enseignants utilisent pour juger le travail des élèves, évaluer leurs compétences, vérifier leur progression.
L’évaluation « à la française » est pourtant très loin de faire l’unanimité. Pédopsychiatres, chercheurs, enseignants mais aussi parents s’élèvent régulièrement contre ce système qu’ils jugent injuste, inefficace, contre-productif, l’accusant de servir moins à évaluer objectivement les connaissances des élèves qu’à les classer en fonction de leurs capacités. « Il m’arrive régulièrement de constater que j’ai oublié tout ce que j’ai appris une fois le contrôle passé, reconnaît un lycéen sur un forum Internet. J’ai vraiment l’impression de travailler dans le seul but d’avoir de bonnes notes, et pas forcément pour acquérir de nouvelles connaissances. » Il serait aussi générateur de stress et de mal-être. Plutôt que d’encourager les élèves en difficulté, il les stigmatiserait et les enfermerait dans une spirale de l’échec dont ils auraient le plus grand mal à sortir. Les meilleurs élèves n’échapperaient pas à ses ravages. « Au début de la sixième, mon fils avait tous les soirs les yeux fixés sur sa moyenne générale de peur qu’elle ne baisse, se souvient un papa. Il a fallu qu’on lui fasse comprendre que les notes ne sont pas les seuls critères à prendre en compte pour juger de sa réussite ».
Pire encore, alors qu’elles sont à la base de l’évaluation des élèves et qu’elles jouent un rôle fondamental dans leur orientation, les notes seraient loin d’être fiables. Plusieurs études montrent en effet qu’en fonction du correcteur, de son humeur, de l’ordre dans lequel il corrige les copies ou encore de l’image que l’enseignant se fait de l’élève, la note peut varier considérablement.
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Une tradition bien ancrée
Les notes telles qu’on les connaît aujourd’hui sont apparues au 19e siècle. A une époque où la  scolarisation était réservée à une poignée de privilégiés, elles servaient à sélectionner les élèves qui avaient la chance de suivre des études. Depuis, l’école a bien changé et la scolarisation – ou plus précisément l’instruction – est devenue obligatoire pour tous. Pour autant, le système d’évaluation n’a quasiment pas évolué. Après mai 68, une réforme avait pourtant été engagée. Une circulaire datée du 6 janvier 1969 avait remplacé les compositions par un contrôle continu et troqué la notation chiffrée par une échelle d’appréciation à 5 niveaux (de A à E). Face aux réticences des enseignants et aux difficultés de mise en œuvre rencontrées, le projet avait finalement été abandonné.
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La part belle à la subjectivité
Aujourd’hui, le système de notation perdure, accompagné d’une grande liberté des enseignants. Au nom de leur liberté pédagogique, ces derniers ont les pleins-pouvoirs pour décider de la fréquence, du contenu et de la forme des contrôles. Ils veulent multiplier les interrogations « surprise » ou mettre un zéro à un élève indiscipliné ? Rien ne les en empêche. Aucune consigne ne leur est non plus fournie en ce qui concerne la notation. Une telle liberté fait la part belle à la subjectivité. « Même dans une matière scientifique, je sais que le principe de notation n’est pas objectif, reconnaît un professeur de mathématiques sur le site Educpros.fr. Si je prends la copie d’un élève en difficulté, je risque d’être dans une attente forte. A l’inverse, pour les très bons, j’aurais tendance à aller vite, sans doute parce que j’ai plus confiance dans leurs réponses ».
Conscients de ce risque, la plupart des enseignants tentent d’en limiter l’impact. Grilles de correction, barèmes de notation, anonymat des copies…, tous les moyens sont bons pour rendre la correction la plus objective possible. Surtout, les enseignants prennent de plus en plus garde à donner du sens à leur notation. « Les notes doivent être justifiées, accompagnées d’appréciations et de commentaires, de manière à ce que l’élève comprenne ce qui ne va pas », insiste Hubert Tison, le président de l’Association des professeurs d’histoire-géographie (APHG).
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Des tests grandeur nature
Face à ce constat, la contestation s’organise. En 2010, l’Association de la fondation étudiante pour la ville (Afev) est allée jusqu’à lancer une pétition en faveur de la suppression des notes à l’école élémentaire. L’initiative avait reçu le soutien d’illustres personnalités telles le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, l’écrivain Daniel Pennac ou l’ancien premier ministre Michel Rocard. Mais face aux nombreuses réticences rencontrées et à la fin de non-recevoir du ministre de l’Education nationale de l’époque, Luc Chatel, la mesure n’avait jamais vu le jour.
Des initiatives sont aussi menées dans certains établissements. A Montpellier, par exemple, une école évalue les élèves sans mettre une seule note. Un collège de la ville de Chaulnes, dans la Somme, a aussi troqué les notes contre un système d’évaluation par compétences. Pas moins de 30 000 enseignants appliquent un système d’évaluation innovant. Basé sur la confiance entre les élèves et les enseignants, l’EPCC permettrait d’évaluer plus justement les élèves et limiterait l’échec scolaire (lire notre interview de son concepteur André Antibi, « Grand Témoin »).
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Une évolution nécessaire
Même si les détracteurs du système actuel sont de plus en plus nombreux, rien n’a encore véritablement changé. L’évaluation des élèves français est-elle condamnée à l’immobilisme ? Pas si sûr.
D’une part parce que plus on avance dans le temps, et moins la comparaison avec les pays étrangers est flatteuse. En Finlande, par exemple, les élèves ne sont évalués qu’à partir de 9 ans et doivent attendre leurs 11 ans pour obtenir leur première note chiffrée. Or, la Finlande arrive régulièrement en tête du classement PISA qui évalue l’efficacité des systèmes éducatifs des principaux pays développés. Dans le même temps, la France, elle, ne cesse d’y perdre des places. Des systèmes d’évaluation jugés plus souples et plus simples à comprendre existent aussi, comme aux Etats-Unis ou en Angleterre où la notation se  fait avec des lettres (de A à E) ou au Canada où chaque compétence est évaluée par un pourcentage (100 % quand la notion est parfaitement acquise).
D’autre part parce que les politiciens semblent plus que jamais décidés à faire changer les choses. A l’occasion de l’assemblée générale de la PEEP, qui s’est tenue début juin, le nouveau ministre de l’Education nationale Vincent Peillon a reconnu la nécessité de faire évoluer l’évaluation de manière à ce que la note ne soit plus « source de souffrance » mais au contraire génère de l’encouragement. Cette volonté de « refonder l’évaluation  (…) des acquis des élèves », il l’a réaffirmée dans une lettre adressée avant l’été au corps enseignant (Bulletin officiel n° 26 du 26 juin 2012). Une concertation doit avoir lieu avec les professionnels de l’éducation et les parents d’élèves. Des nouveautés pourraient être annoncées pour la rentrée 2013, avec un objectif : que le système d’évaluation des élèves obtienne enfin la moyenne.

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REPERES
Le livret de compétences

Après avoir été mis en place dans le primaire, le livret personnel de compétences a été étendu au collège. Ce document, qui suit l’élève tout au long de sa scolarité, permet aux enseignants et aux parents de suivre l’acquisition des connaissances et des compétences à chaque étape du socle commun. Renseigné tous les trimestres, il est systématiquement transmis à la famille. Jugé « inutilement complexe » par le nouveau ministre de l’Education nationale, il devrait être simplifié pour la rentrée 2013 de manière à fournir aux parents « des outils de suivi des élèves clairs et compréhensibles ».

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POINT DE VUE

Christine Guimonnet, professeur d’histoire-géographie au lycée Paul-Claudel de Laon (02)

« Il y a un an et demi, j’ai décidé de modifier profondément ma façon d’évaluer les élèves. Le plus grand changement, c’est que je n’ai presque plus recours aux interrogations surprises, même s’il m’arrive encore de les utiliser. Désormais, la quasi-totalité des contrôles sont annoncés à l’avance. Je précise par ailleurs à mes élèves les leçons sur lesquelles portera le devoir, mais aussi le vocabulaire à réviser, les types d’exercices à maîtriser… Il n’y a pas de piège. Du coup, je constate que ceux qui avaient quelques difficultés auparavant sont désormais capables d’obtenir de bonnes notes à condition qu’ils révisent régulièrement. C’est plus motivant ! Par ailleurs, je prends désormais plus de temps pour rédiger des commentaires et des appréciations sur la copie, car le plus important, c’est que la note ait du sens et qu’un échec permette d’avancer. A mes yeux, l’élève doit intégrer l’évaluation comme un élément de la progression qui sanctionne aussi un manque de travail ou la présence de lacunes auxquelles il faudra remédier. »

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A SAVOIR

Qu’ils utilisent des lettres (A à E), des chiffres (0 à 20) ou des appréciations (acquis/en cours d’acquisition/non acquis), il revient à chaque enseignant du primaire de choisir sa façon de noter. Aucun texte n’encadrant l’évaluation, la liberté des professeurs des écoles est totale.  Ce système a un avantage : il permet aux enseignants d’adapter leur notation en fonction de la situation des élèves, de leur niveau, de leurs attentes. A contrario, il peut troubler non seulement les parents mais aussi leurs enfants qui, d’une année sur l’autre, peuvent se retrouver avec des systèmes de notation très différents.

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