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MAGAZINE – Hypersexualisation des petites filles : le rôle essentiel des parents

Fillettes habillées comme des femmes dans les publicités, concours de mini-miss, vente de strings taille enfant, banalisation des images sexuelles à la télé… Le phénomène de l’hypersexualisation inquiète parents et pouvoirs publics. Fillettes habillées comme des femmes dans les publicités, concours de mini-miss, vente de strings taille enfant, banalisation des images sexuelles à la télé… Le phénomène de l’hypersexualisation inquiète parents et pouvoirs publics.
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La fin des années 90 a vu débarquer la mode du « porno-chic » dans les magazines et publicités. En parallèle, on assistait à l’avènement de chanteuses comme Britney Spears qui faisait la une de la presse en tenue d’écolière sexy. « L’industrie vestimentaire s’est très vite emparée de ce style qui transformait des fillettes pré-pubères en friandises sexuelles, contrairement à toute éthique », explique Chantal Jouanno, sénatrice et auteure du rapport parlementaire sur l’hypersexualisation (lire son témoignage page 33). Mais ce qui a mis le feu aux poudres, ce sont les clichés récents du magazine Vogue mettant en scène une fille de 10 ans dans des positions suggestives, le développement des concours de mini-miss et la vente de soutiens-gorges ampliformes et strings taille enfant… Autant d’élements médiatisés qui ont attiré l’attention des pouvoirs publics.
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Représenter l’enfant comme un adulte sexuel miniature
Pour bien comprendre ce phénomène, il faut se pencher sur son sens. « Ce phénomène représente l’enfant comme une sorte d’adulte sexuel miniature », explique la sexologue Jocelyne Robert. Toutefois, ce phénomène ne correspond absolument pas à une précocité sexuelle active. « A cet âge, l’enfant est dans une période de latence où la sexualité est mise en sommeil (lire le témoignage d’Alain Braconnier ci-dessous). Je regrette que ce terme induise l’idée d’un comportement sexuel de la part de l’enfant, car ce n’est pas le cas », rappelle le pédopsychiatre Michel Fize. Si les pré-ados souhaitent se vêtir de façon provocante, ce n’est pas par provocation mais parce qu’elles veulent reproduire ce monde de l’adulte qui les attire tant. Elles font cela pour être populaires mais sans en comprendre les enjeux.
Les spécialistes ont relevé trois domaines dans lesquels ce phénomène influence les enfants : l’utilisation de l’image sexualisée de ces derniers dans les médias, la vente des produits et services destinés aux plus jeunes qui utilisent les ressorts de la sexualité adulte (vêtements et sous-vêtements sexy, soins de beauté, maquillage…) et l’exposition des enfants aux images érotiques ou pornographiques. « On banalise ainsi la nudité et on met à mal l’intimité, ce qui rendra le rapport au corps difficile », explique Marie Derain, Défenseure des enfants et adjointe au Défenseur des droits.
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Stéréotypes très clivés garçons/filles
« On constate aussi que les mannequins sont de plus en plus jeunes et il est indéniable que dans la mode s’opère une transgression au niveau de l’âge », explique Frederic Monneyron, sociologue de la mode. Chantal Jouanno relève pour sa part que « la société dans son ensemble est hypersexualisée. Dès le plus jeune âge, on voit apparaître des stéréotypes très clivés garçons/filles et il y a une puissance du marketing colossale pour rompre la barrière des âges et inciter à adopter des comportements d’adolescent. » Les principaux responsables sont les grandes marques et la télé, qui proposent des images qui magnifient la starlette et où le corps est en général peu vêtu, mettant en évidence une féminité superficielle.
« La question que l’on doit se poser est : jusqu’à quel point laissons-nous le commerce envahir l’univers des enfants ? », analyse le pédopsychiatre Jean-Yves Hayez. Chantal Jouanno ne dit pas autre chose : « En France, nous avons la chance de ne pas être dans une société de consommation à outrance, où l’on ne s’accomplit pas dans le shopping et où la famille est solide, ce qui permet d’éviter les excès constatés dans certains pays. Il y a un consensus en France pour condamner le phénomène, même si celui-ci est fragile et susceptible de se fissurer. »
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Les parents au cœur du problème
Certains psychologues redoutent un risque de banalisation des désirs des pédophiles mis en avant par l’hypersexualisation qui entretiendrait l’idée que les enfants sont interessés par le sexe. La police a par exemple constaté que les délinquants sexuels détenaient de plus en plus des photos d’enfants issues de la publicité et pas seulement de la pédo-pornographie.
Bien entendu, les parents ont un rôle primordial à jouer au quotidien. « A cet âge, il faut les aider à forger leur propre avis sur leur corps pour préparer leur futur en les éduquant à la vie affective et sexuelle », explique la Défenseure des enfants. Il est donc essentiel d’expliquer les choses et de bannir certains attributs : talons, maquillage (sauf exceptions festives), dentelle, strass à outrance…
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Notion de vulgarité
« En essayant de lui faire comprendre ce que peuvent représenter ces vêtements, nous lui avons expliqué comment faire des bons choix et ne pas forcément suivre la « mode » de ses copines », témoigne Delphine, mère de Margaux (10 ans). Car le vrai souci, c’est leur souhait d’appartenir à un groupe, ce qui passe par des codes vestimentaires. « Nous lui avons aussi indiqué que les règles évolueraient avec le temps », tempère Delphine.
Concernant le comportement, c’est plus délicat de lui expliquer la vulgarité de certaines attitudes, notamment quand elle reproduit des chorégraphies vues dans des clips. Cela reste bon enfant pour elle mais on essaye encore une fois de la ramener à la notion de vulgarité : en dehors de la télé, a-t-elle déjà vu des adultes se comporter de cette façon ? Cela lui fait comprendre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. » « C’est notre métier de parents d’éloigner les enfants de ces dérives, de refuser de les laisser être contaminés par le diktat de la beauté, de la séduction, de les laisser à leur place d’enfants tant qu’ils sont des enfants », renchérit Jean-Christophe, père d’une fille de 8 ans.
Puisqu’il est vain de croire qu’on peut les isoler de toute exposition à des images ou produits à caractère sexuel, il convient de les aider à décoder les messages. Les professionnels sont unanimes : il est capital d’éduquer les enfants au respect des corps et à l’égalité des sexes dès le primaire.
MG

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TEMOIGNAGE

Chantal Jouanno, auteur d’un rapport sur l’hypersexualisation

« Le propos de mon rapport était d’alerter sur le phénomène de l’hypersexualisation et d’expliquer que l’enfant n’est pas un véhicule commercial. En faisant de ces enfants des petits durs ou des petites femmes, on les fragilise et on génère des formes de valorisation contraires à leur développement qui peuvent engendrer des conduites à risques. Dans les services d’urgences pédiatriques, on rencontre des enfants de plus en plus jeunes et notamment des filles dans des démarches de séduction extrême, qui, pour attirer l’autre, vont aller jusqu’à l’anorexie. Et ce qui peut paraître mignon et insignifiant au premier abord devient très rapidement malsain et dangereux. Voilà pourquoi nous suggérons une série de recommandations, comme la mise en place d’une Charte de l’enfant, l’interdiction des concours de mini-miss et la mise en place d’une charte de bonne conduite signée par les pouvoirs publics et les acteurs économiques. Je propose également d’interdire que les enfants de moins de 16 ans puissent être l’égérie des marques. Nous préconisons aussi la sensibilisation des professionnels de l’enfance et de l’Éducation nationale à ce sujet. »

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Cliquez sur l’image ci-contre pour lire et télécharger le rapport de Chantal Jouano.

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POINT DE VUE
Alain Braconnier, psychiatre, auteur de Etre parent aujourd’hui (éd.Odile Jacob)

« Entre 6 et 12 ans, la période de latence de l’enfant est marquée par un attrait pour le monde des adultes et en même temps, il s’agit d’une période de calme et de construction. Le monde des adultes sollicite énormément ces enfants qui peuvent se laisser happer. Il faut comprendre que derrière cette envie réside une grande pudeur. Au fond de lui, il a besoin à cette période de protection vis-à-vis de tout ce qui touche à la sexualité. Si l’on n’aide pas l’enfant à se construire durant cette période “morale”, on risque d’avoir une adolescence plus chaude, plus compliquée. Bien sûr, on ne peut tout leur interdire, mais il faut s’appuyer sur leur force du moment pour leur expliquer les choses car à cet âge, ils sont très curieux et prêts à comprendre l’interdit s’il est bien expliqué. »

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