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Wittorski. En début d’Espé, il n’est pas rare de voir des étudiants se dire que le métier n’est pas pour eux. Avec cette mesure, cela permettra en amont de voir la différence entre ses représentations et la réalité. » Il y voit un second avantage : apporter plus d’expérience, en étalant la formation sur un temps plus long. L’idée intéresse aussi Brigitte Marin. « C’est une bonne mesure, socialement intéressante. Elle va permettre à des étudiants qui ont très tôt la vocation de se préprofession- naliser dans la durée, en contact avec les classes. » Avec quelques limites : « Il sera essentiel que les critères de sélection soient bien choisis, pour recruter des étu- diants capables de valider leurs diplô- mes. Et ils ne doivent pas devenir une force de remplacement. » Mais elle ima- gine que ce prérecrutement pourrait limiter les soucis en début de carrière. « Selon les statistiques, les étudiants qui rencontrent le plus de problèmes de ges- tion de classe sont ceux qui ont eu le moins de contacts avec les élèves pen- dant leur formation. Ils n’ont pas eu le temps d’acquérir une maturité profes- sionnelle. Enseignant, c’est un vrai métier, qui doit s’apprendre. » n GC EDUCATION ZOOM www.peep.asso.fr - numéro 407 - Août-septembre-octobre 2019 15 Pierre Périer, sociologue en sciences de l’éducation à l’université Rennes II, spécialisé dans la formation et le début de carrière des enseignants La formation des enseignants va être profondément repensée… On ne peut pas dire que l’expérience laisse un souvenir toujours très positif aux stagiaires ! La question de fond, c’est que l’on a beau l’avoir rallongée d’un an en 2010, les jeunes profs ont le sentiment que la formation n’est pas en adéquation avec les conditions réelles de l’exercice du métier. Ils regrettent de ne pas être préparés à la réalité qui les attend… Il y avait moins de critiques il y a quelques décennies. Qu’est-ce qui a changé ? Le métier est plus imprévisible. Il s’est complexifié, les missions se sont étendues, les contextes sont diversifiés. Il y a une forme d’incertitude dans la dimension relationnelle avec les élèves, notamment dans les questions d’autorité et de gestion de classe. On n’attend plus des élèves qu’ils soient passifs : on leur demande d’être autonomes, expressifs. Ils sont donc plus engagés dans les interactions… Cela change fondamentalement le quotidien : on n’est plus seulement dans la transmission de savoirs. La dimension relationnelle prend de l’importance, surtout dans les contextes difficiles. Face à de telles incertitudes, des professeurs inexpérimentés ne sont pas toujours en mesure d’apporter des réponses adéquates. Il faut faire preuve de réflexivité, agir tout en analysant en temps réel. Cette compétence suppose de l’expérience ! Vous travaillez auprès des jeunes enseignants. Quel est leur ressenti sur leur formation ? Les stagiaires et néo-titulaires déplorent le rythme intense du Master Meef. En première année, il y a l’objectif du concours. En seconde année, il y a l’alternance entre les cours et les stages, avec l’objectif d’obtenir son diplôme de Master 2, et un mémoire à rendre. On intercroise une logique de préparation de concours, une professionnalisation, et un diplôme universitaire ! Les étudiants se sentent sous pression en permanence. Avec une ambivalence : en classe, les stagiaires sont en responsabilité face aux élèves, aux parents d’élèves, aux collègues. Mais à l’Espé, ils sont de simples étudiants, sous l’autorité des formateurs qui les contrôlent et les évaluent. Comment aider les futurs enseignants ? Il faut renoncer à une ambition vaine : les enseignants ne pourront jamais être préparés à toutes les situations, pour tous les contextes. Il faut donc réfléchir à assurer le meilleur pour débuter, puis instaurer un accompagnement tout au long de la carrière. Le problème n’est pas d’être débutant. Des professeurs qui démarrent dans des conditions favorables réussissent bien. Mais ils ne sont pas préparés à des contextes particuliers. Le côté imprévisible engendre la difficulté. L’enjeu est donc la formation continue ? C’est un point majeur. Par rapport à d’autres pays, on a un grand souci en France à ce sujet. Or il est nécessaire de se former régulièrement aux nouveaux programmes et outils pour enseigner, aux questions pédagogiques et didactiques. Pour un enseignant qui a 20 ans de carrière, la classe inversée, les tableaux numériques, cela veut dire réapprendre un métier ! Au-delà, il faudrait développer l’analyse de pratiques tout au long de la carrière. Car il n’existe pas d’espace protégé où le professeur peut parler librement de ses difficultés, prendre du recul. C’est probablement à ce niveau que la formation continue serait la plus nécessaire, et où elle fait le plus défaut. « La formation n’est pas en adéqua- tion avec les conditions réelles »

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