VDP 404

EDUCATION ZOOM numéro 404 - Janvier-février 2019 - www.peep.asso.fr 14 Eric Debarbieux, expert en Sciences de l’Éducation, ancien Délégué ministériel à la prévention de la violence scolaire L’affaire de Créteil a choqué le pays… C’est parce que ces faits sont extraordinairement rares en France. Dans mes enquêtes, le risque d’être menacé par une arme à feu touche moins de 0,2 % des personnels. Je ne veux pas minimiser ce qui s’est passé : ce sont des situations graves. Le problème, c’est qu’on se laisse toujours fasciner par les faits exceptionnels, pour appeler à des solutions exceptionnelles. Vous avez mené de nombreuses études sur le sujet. Peut- on parler de degré jamais atteint ? On me pose la même question depuis 30 ans ! Chiffres en mains, je vous le dis : la violence a pris de nouvelles formes avec les réseaux sociaux, mais elle n’explose pas. Depuis 1991, je mène des enquêtes de victimation, qui sont les plus sérieuses pour connaître la structure de la violence à l’école. Le ministère en réalise également. Toutes montrent la même chose : il n’y a pas d’augmentation de la violence. On tourne chaque année autour de 80 000 signalements. Cela peut sembler beaucoup, mais c’est peu, dans un système avec 12 millions d’élèves et plus d’1 million d’adultes ! La violence existe également entre élèves… Elle se constitue plutôt de petits faits, notamment des violences verbales. On voit aussi des violences physiques entre élèves, bagarres, bousculades intentionnelles, des violences d’appropriation – environ 1500 cas de racket sont signalés par an. Il ne faut pas oublier les violences indirectes : la mise à l’écart, l’ostracisme. L’important est de croiser ces faits signalés et les enquêtes de victimation, car tout n’est pas connu par l’administration. On parle de plus en plus du harcèlement… Les campagnes de prévention commencent à porter leurs fruits. Les chiffres sont en légère baisse : à l’école primaire et au collège, à peu près 6 % des élèves sont victimes d’un harcèlement sévère, contre un peu moins de 2 % au lycée. Est-ce le miroir d’une société violente ? Des facteurs externes expliquent bien sûr une partie de la violence. Les écoles ne sont pas à l’écart des bruits du monde. Mais il faut lier victimation et climat scolaire. La quasi-totalité des faits de violence scolaires sont perpétrés par les propres élèves des établissements. Qu’on le veuille ou non, le problème est au cœur de la vie scolaire. Les réseaux sociaux semblent aggraver le problème… Ils n’augmentent pas les violences, mais offrent de nouvelles manières d’être violent. Certains comportements sont probablement amplifiés par les réseaux, la possibilité pour un événement de devenir viral. Dans les affaires comme Créteil se pose le problème de la cyberdiffusion. On cherche à se faire voir. Il faut donc faire attention à la vidéosurveillance. Plus vous avez des caméras, plus vous donnez l’occasion et l’envie d’être vu. Le ministère dévoilera en janvier des mesures… L’un des enjeux, c’est la présence de la police au sein des établissements. Je ne crois pas à la logique du plan généraliste, qui plaque la même réponse à tout le monde. Chaque établissement a ses particularités. Il faut du cousu main, au plus près possible du terrain. Le réflexe est toujours le même : restaurer l’autorité avec un rapprochement Police/Justice/Éducation nationale. Je n’ai rien contre, et c’est déjà une réalité de terrain. Un chef d’établissement qui ne connaîtrait pas le commissariat du secteur ferait une grosse erreur. Mais je me pose la question pour les permanences policières. Cela supposerait un vrai travail avec le ministère de l’Intérieur, sur la définition du rôle du policier. Il y a une très forte méconnaissance de ce qu’est le travail policier, de ce que peut être une vraie police de proximité. Les enseignants ne semblent pas suffisamment formés aux différentes situations de violence auxquelles ils sont confrontés… J’ai interrogé près de 66 000 personnels. À la question « De quelle formation avez-vous besoin ? », les profs emploient cinq mots : « gestion », « crise », « conflit », « élève », « difficile ». Ces outils n’existent quasiment pas. Des gens vont passer toute leur vie à faire du travail en groupe, et ne sont pas formés à la dynamique de groupe ! On doit comprendre la gestion des conflits, la discipline positive, la psychologie de l’enfant… Et pas seulement en début de carrière. Les professeurs demandent une formation continue, concrète, pratique, pédagogique. Les chefs d’établissement appellent à une stabilisation des équipes… Quand on voit des endroits où 60 % des professeurs changent d’une année sur l’autre, comment voulez-vous faire face ? Le facteur de protection le plus efficace contre la violence, c’est la stabilité et la qualité des équipes éducatives. On a absolument besoin d’une notion de communauté, de travail commun entre les personnels. Une étude québécoise montre que les enseignants qui sont accueillis, supportés et soutenus sont beaucoup moins victimes de violences. Et c’est également le cas pour leurs élèves ! « La violence scolaire n’augmente pas »

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